déportation homosexuelle copyright vergine keaton

Déportation homosexuelle : la mémoire retrouvée

Chaque dernier dimanche d’avril depuis 1954, on commémore la Journée nationale de la déportation. En présence, depuis quelles années, d’associations qui perpétuent la mémoire des déportés pour homosexualité.

«On devrait rouvrir les fours pour les mettre dedans. Ils auraient dû tous être exterminés». D’une brutalité terrible, la phrase est prononcée en avril 1985 à Besançon par des anciens déportés qui s’opposent au dépôt d’une gerbe en souvenir de leurs camarades homosexuels. Une telle violence semble désormais bien loin et la prochaine Journée nationale de la déportation s’annonce beaucoup plus pacifique : cette année encore, les associations homosexuelles commémoreront, aux côtés d’associations de déportés, les déportés homosexuels.

Pourtant, cette commémoration a longtemps été un objet de conflictualité et l’enjeu de luttes particulièrement violentes. Confrontés au silence et au refus de reconnaissance, des militants se sont battus pour se faire une place dans la mémoire collective. À partir du milieu des années 1970, des incidents perturbent les cérémonies. Les revendications prennent de l’ampleur au cours des années 1980 et 1990 : Pierre Seel (1923-2005), déporté alsacien, témoigne publiquement et le Mémorial de la déportation homosexuelle est créé par le fondateur du journal Gai Pied, Jean Le Bitoux. Fidèle à son habitude, l’association Act Up-Paris participe aux commémorations avec fracas.

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La situation évolue au début des années 2000, notamment grâce à l’action d’une seconde association, Les Oublié(e)s de la Mémoire : en 2001, l’État reconnaît pour la première fois la réalité de la déportation homosexuelle par la bouche du Premier ministre Lionel Jospin, suivi en 2005 par le président Jacques Chirac.

Querelle de chiffres

Quelle fut l’ampleur exacte de la déportation homosexuelle ? Les premières estimations des militants sont sérieusement relativisées par de récents travaux historiques. L’historien Arnaud Boulligny ne recense ainsi que 62 cas de déportés français arrêtés pour motif d’homosexualité (en excluant les déportés certes homosexuels mais déportés pour un autre motif) : sur ces 62 personnes, 22 ont été arrêtées en Alsace et Moselle (territoires annexés au Reich, où s’appliquait la législation allemande), 7 en zones occupées (le reste de la France) et 32 dans le territoire du Reich hors Alsace et Moselle (la situation d’un des déportés est encore inconnue). Des chiffres en aucun cas définitifs, certainement réévalués par la découverte de nouvelles sources, mais qui témoignent cependant d’une absence de répression systématique.

Des statuts variables selon les territoires

Comme le montre la classification d’Arnaud Boulligny, il convient toutefois de distinguer différentes situations en fonction de la législation, qui n’était pas la même dans tous les territoires annexés ou occupés par l’Allemagne nazie ou soumis de fait à son autorité. En France dite «non-occupée», le régime de Vichy instaure en 1942, pour la première fois depuis la Révolution française qui avait légalisé l’homosexualité, une clause discriminatoire relevant la majorité sexuelle à 21 ans pour les relations homosexuelles (et qui restera en vigueur jusqu’en 1982).

Mais la législation qui s’appliquait aux homosexuels vivant sur le territoire du Reich (paragraphe 175 du Code pénal allemand, abrogé en… 1994) était certainement la plus sévère de toutes, puisqu’aux yeux des nazis, il était plus important de préserver la «pureté» du peuple allemand que celle des autres peuples, considérés comme inférieurs. Au total, selon le United States Holocaust Memorial Museum, l’une des institutions internationales les plus reconnues dans l’étude de la Shoah, 100 000 personnes dans toute l’Europe ont été inquiétées ou fichées pour infraction au paragraphe 175, 51 000 traduites en justice ou arrêtées et 10 000 envoyées dans les camps nazis, où 6000 sont mortes.

 

À lire :

– Rudolf Brazda (avec Jean-Luc Schwab), Itinéraire d’un Triangle rose, éditions Florent Massot, 2010
– Pierre Seel (avec Jean Le Bitoux), Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, éditions Calmann-Lévy, 1994

À voir :

– Christian Faure, Un Amour à taire (téléfilm, 2005)

 

Illustration © Vergine Keaton

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