Kenneth Anger a 87 ans et Satan l’habite

Le festival Écrans Mixtes met à l’honneur cette année le cinéaste Kenneth Anger, dont six court-métrages seront présentés durant une soirée spéciale le lundi 10 mars.

Visionnaire et sataniste, underground et potineur, homoérotique et poétique… On n’en finirait pas d’aligner les contraires si on voulait s’essayer à définir Kenneth Anger, 87 ans, dont la poitrine est toujours barrée d’un puissant tatouage proclamant «Lucifer». Il faut dire que, depuis plus d’un demi-siècle, l’homme ne cache pas son goût pour l’ésotérisme, voire le satanisme, vouant un culte au mage Aleister Crowley et entretenant jadis une liaison avec Anton LaVey (fondateur de l’Église de Satan)…

On s’en ficherait un peu si ces inclinaisons pour l’occultisme le plus baroque n’avaient peu à peu contaminé le cinéma d’Anger, jusqu’à y prendre toute la place, à partir de la fin des sixties. Car à moins d’être fan des croyances les plus fumeuses ou des délires psychédéliques sous l’emprise du LSD, on ne peut guère dire qu’Invocation of My Demon Brother (1969) ou Lucifer Rising (1980) soient les œuvres les plus passionnantes et excitantes d’un cinéaste dont l’œuvre antérieure est, elle, époustouflante. C’est donc sur elle qu’il convient de se pencher, sur la modernité inouïe de ces films de jeunesse dans lesquels un garçon de vingt ans à peine, Kenneth Anger, invente littéralement le cinéma underground tout en lui donnant une coloration gay dont il devient dès lors, et pour longtemps, indissociable.

Fireworks, un court-métrage séminal

Nous sommes en 1947 et le surgissement de Fireworks est un éblouissement pour ceux qui découvrent ces quatorze minutes sidérantes tournées par Anger en un week-end, alors que ses parents sont absents. Il y met en scène, sous une forme onirique, symbolique, poétique et violemment érotique, un beau jeune homme (interprété par lui-même) aux prises avec un groupe de marins… «Dans Fireworks, j’ai libéré toute la pyrotechnie explosive d’un rêve. Les désirs inflammables refroidis le jour sous l’eau glacée de la conscience sont allumés cette nuit-là par les allumettes libertaires du sommeil et explosent en jets d’incandescences chatoyantes. Ces représentations imaginaires sont un soulagement temporaire», écrira Anger à propos de la dimension cathartique de son film.

kenneth anger fireworks 1947

Aux États-Unis, où l’homosexualité est alors pénalement condamnée, ce fantasme filmé, ce cinéma radicalement nouveau, expérimental, kitsch et sexuel, vaut à son auteur une arrestation et une réputation sulfureuse grâce à laquelle il est invité, en 1949, au Festival du film maudit de Biarritz. Jean Cocteau, président du jury, succombe à ces images et prend Anger sous son aile pour qu’il vienne vivre et travailler en France. Il y tournera le poétique Rabbit’s moon (1950).

Cinéma expérimental et potins hollywoodiens

Malgré sa diffusion clandestine, Fireworks est très vite célébré partout comme le manifeste d’un cinéma d’avant-garde dont Anger devient le héraut. Ses court-métrages suivants ne font que confirmer son talent de formaliste, qu’il capte quelques instants de la vie d’une star des années 20 se préparant à une promenade (Puce Moment, 1949) ou qu’il entre dans l’intimité d’un groupe de bikers (Scorpio Rising, 1964).

Mais c’est peut-être dans le plus court et le plus fascinant de ses films, Kustom Kar Kommandos (1965) qu’éclate le plus intensément le talent fétichiste de  Kenneth Anger. En trois minutes, il capte l’essence même du désir masturbatoire, peu en importe l’objet : ici, un jeune homme en jean serré bichonne amoureusement sa grosse cylindrée… Accompagné en bande-originale du tube de Bobby Darin Dream Lover, le film est à couper le souffle de beauté et de charge érotique.

Ce bref chef-d’œuvre est aussi le dernier film d’Anger avant le revirement occulte dont on parlait plus haut. Il précède aussi l’œuvre la plus connue et la plus déroutante de son parcours : le livre Hollywood Babylone, dans lequel il relate une histoire des scandales à Hollywood, depuis les origines de l’usine à rêves. Énorme succès aux États-Unis, cette compilation camp et bitchy des pires ragots et potins du cinéma raconte viols, crimes, usages de drogues ou homosexualité chez les stars. Bizarrement, le livre a attendu 2013 pour être enfin traduit en France (aux éditions Tristram), remettant en vedette la figure de Kenneth Anger. Saluons donc l’initiative d’Écrans Mixtes, qui offre l’occasion de le redécouvrir aussi à travers son cinéma si singulier.

 

The Magick Art of Kenneth Anger, lundi 10 mars à 21h au CNP Terreaux, 40 rue du Président Édouard Herriot-Lyon 1

 

 

À voir aussi

Deux documentaires historiques et biographiques qui s’annoncent passionnants (I am Divine, sur l’égérie de John Waters, et Vito, sur Vito Russo, auteur de The Celluloid Closet), un hommage rendu à Bambi en sa présence, le premier film de l’écrivain marocain Abdellah Taïa (L’Armée du salut) ou encore le dernier Bruce LaBruce (Gerontophilia)… Et même un vrai porno à dimension patrimoniale : Le Voyage à Venise (1986), réalisé par le pape français du X gay, Jean-Daniel Cadinot !

Festival Écrans Mixtes, du 5 au 11 mars à Lyon / www.festival-em.org

 

Photo de Une : Scorpio Rising (1964) de Kenneth Anger
Photo 2 : Fireworks (1947) de Kenneth Anger

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