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Trente ans après sa mort, Michel Foucault au présent

À l’occasion des trente ans de la mort du philosophe, des publications invitent à s’interroger sur l’héritage de Michel Foucault.

Michel-Foucault heteroclite juin 2014La scène se déroule à Genève à la fin des années 1990. Le narrateur marocain du roman d’Abdellah Taïa L’Armée du salut vient d’arriver en Suisse et est contraint de dormir à l’Armée du salut. L’homme qui l’accueille a l’apparence physique de Michel Foucault, son crâne rasé, ses lunettes. Une rencontre rassurante pour le héros écartelé entre le monde qu’il a voulu fuir et celui qu’il veut rejoindre. «Mon cœur était heureux de le retrouver, un visage depuis longtemps familier, un être fait de mots rencontré d’abord dans les livres puis un livre d’amour à la main, un homme qui souriait déjà alors qu’il faisait encore noir. Un homme qui n’était pas mort, même si la réalité disait le contraire».

Ainsi est Michel Foucault : pas seulement une figure majeure de la pensée critique contemporaine, mais une lumière, un phare dans la nuit dont l’intensité n’a jamais faibli depuis sa mort le 25 juin 1984. Comme l’ont été André Gide, Simone de Beauvoir ou Violette Leduc.

Un des penseurs essentiels du XXème siècle

Né en 1926, Michel Foucault se fait remarquer en 1961 avec sa thèse Folie et déraison, puis, en 1966, dans le bouillonnement du structuralisme, avec Les Mots et les choses. Après mai 1968, le philosophe se politise et ses travaux accompagnent les luttes des prisonniers, des immigrés ou des homosexuels. Surveiller et punir paraît en 1975 et La Volonté de savoir, premier volume d’une Histoire de la sexualité, en 1976.

Ses livres ont en commun d’interroger inlassablement «pouvoir» et «savoir» : Michel Foucault est animé par le projet de comprendre comment la société pense, classe, exclut, catégorise. Et comment elle fabrique des «sujets» – ce que le philosophe nomme «assujettissement» – comme le fou, l’homosexuel, le malade.

Michel Foucault bouleverse également le rapport des historiens à la philosophie et celui des philosophes à l’histoire. Il a aussi plaidé pour que ses livres «servent». Parlant de «petites boîte à outils», il invitait à les utiliser «pour court-circuiter, disqualifier, casser les systèmes de pouvoir». C’est ainsi que AIDES et Act-Up, pourtant très éloignées, ont pu se réclamer du philosophe dans la lutte contre le sida.

Quel usage faire aujourd’hui de Michel Foucault ?

En 2001, dans son livre Hérésies, son biographe Didier Eribon mettait en garde contre le commentaire académique, déconnecté des enjeux politiques et intellectuels. Il refusait de faire de Foucault un philosophe «fréquentable», «vidé de sa politique, vidé de lui-même» : «être fidèle à Michel Foucault, c’est continuer à faire vivre, aujourd’hui, l’indocilité réfléchie», affirmait-il. Là est l’intérêt, alors que l’anniversaire de sa mort se caractérise par un grand nombre de publications (dont Subjectivité et vérité, son cours au Collège de France en 1980-1981), dont le livre Foucault contre lui-même.

Issu d’un documentaire de François Caillat (qui sera diffusé sur Arte le 18 juin), cet ensemble d’entretiens s’attache à restituer le geste critique du penseur qui présentait son travail comme une «curiosité qui permet de se déprendre de soi-même», comme «savoir comment et jusqu’où il serait possible de penser autrement».

Quatre points de vue sur Foucault et son œuvre

Contre toute lecture figée, Geoffroy de Lagasnerie rappelle que l’œuvre du philosophe est traversée de fractures et de déplacements. Selon lui, «le geste foucaldien consiste précisément à écrire quelque chose de nouveau» : «écrire, cela n’est qu’écrire quelque chose de nouveau, ce qui engage donc une rupture par rapport à l’écriture précédente».

Dans un portrait très sensible, Arlette Farge, qui a travaillé avec le philosophe, le décrit comme un «intellectuel particulier, qui se dirige vers des actualités brûlantes et conflictuelles et réfléchit à la façon dont le jeu institutionnel peut se renverser et produire de nouveaux lieux de savoir». Elle souligne combien il n’a cessé de balancer entre le cœur et la marge des institutions académiques.

Autre ami, le professeur à Berkeley Leo Bersani rappelle que le travail théorique est indissociable de la biographie de son auteur. La découverte par Michel Foucault de la vie gay en Californie, beaucoup moins «pincée» qu’en France, contribue à transformer son Histoire de la sexualité : «sa vie personnelle allait nourrir sa vie intellectuelle».

L’historien de l’art Georges Didi-Huberman s’attarde quant à lui sur la «générosité» du philosophe, tant personnelle que philosophique, dans la manière dont il a cherché à produire des livres «utiles». Avant de conclure : «il y a des milliers d’héritiers de Foucault».

 

 

 

À lire :

_Foucault contre lui-même, sous la direction de François Caillat (Presses Universitaires de France)
_Subjectivité et vérité. Cours au Collège de France (1980-1981) de Michel Foucault (éditions Seuil / Gallimard / EHESS)
_Michel Foucault de Didier Eribon (éditions Champs Flammarion)

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