Qu’est-ce que l’outing, cette pratique si décriée ?

Largement décrié, l’outing est aujourd’hui associé à n’importe quelle révélation de l’homosexualité d’une personne sans son consentement. À l’origine, il s’agit pourtant d’une pratique militante contre l’homophobie.

closer florian philippot outing oui a l'amour pour tous

 

« L’amour pour tous ! ». Sous ce titre ironique, l’hebdomadaire Closer, dans son édition du 12 décembre dernier, publiait à sa Une une photo du n°2 du Front national, Florian Philippot, au bras d’un homme présenté comme son amant. Les «révélations» du magazine people sur l’homosexualité de ce proche conseiller de Marine Le Pen (un secret de polichinelle, en réalité) ont aussitôt suscité une réprobation générale, aussi bien au sein de la classe politique que chez les éditorialistes, même les plus hostiles aux idées du Front national. Pas de ça chez nous !, se sont-ils écriés en chœur et dans un bel élan d’unanimisme républicain. Refusons l’outing, cet affreux anglicisme pour lequel il n’existe même pas de traduction en français (preuve s’il en fallait qu’il est totalement étranger à nos traditions et à nos mœurs gauloises civilisées) et tout droit importé des États-Unis, pays du communautarisme maudit, du politiquement correct et de la dictature des minorités… Mais qu’entend-on au juste par outing ? La révélation de l’homosexualité d’une personne contre son gré (pour des motivations diverses, voir encadré ci-contre) est une pratique très ancienne mais le terme outing n’est apparu que dans les années 80, dans le contexte de la crise du sida dont il est indissociable. Plusieurs activistes anti-sida américains, réunis notamment au sein du Act Up originel (celui fondé à New York en mars 1987 par Larry Kramer) font alors le constat que l’une des raisons principales de l’inertie de la société américaine face à la catastrophe qui menace de les engloutir est le stigmate qui pèse encore sur l’homosexualité. Il est donc primordial de faire évoluer le regard de leurs compatriotes sur les gays et les lesbiennes. Et qui donc pourrait contribuer à cette évolution des mentalités plus que les personnalités publiques les plus populaires  du sport, du cinéma, de la politique ou du monde des affaires ? Mais la plupart des célébrités homosexuelles préfèrent alors se taire et rester dans le placard. Certaines vont même jusqu’à défendre des positions homophobes pour mieux dissimuler leur secret. C’est dans ce contexte d’extrême urgence que des activistes décident de révéler l’homosexualité ou la bisexualité d’un sénateur républicain homophobe, du patron du magazine Forbes ou de personnalités du show-business.

Débats internes

L’outing tel que pratiqué par ces activistes anti-sida et anti-homophobie obéit toujours à certaines règles, qui peuvent varier selon les militant-e-s. Faut-il par exemple outer tous les homosexuel-le-s dans le placard ou seulement celles et ceux qui adoptent des positions hostiles aux gays et aux lesbiennes ? Les personnes vivantes ou seulement les morts ? L’opportunité de l’outing, une pratique très largement décriée, a également fait l’objet de vives discussions : ne risque-t-il pas d’être contreproductif et de se retourner contre ses auteurs ? C’est ainsi qu’en 1999, Act Up-Paris a envisagé un temps d’outer le député UDF Renaud Donnedieu de Vabres, qui participait aux manifestations homophobes contre le Pacs, avant d’y renoncer. En Autriche, les associations gays et lesbiennes se sont elles aussi demandé s’il fallait outer le leader d’extrême-droite Jörg Haider mais ne l’ont pas fait, de peur d’attiser l’homophobie (la bisexualité de Jörg Haider sera finalement révélée par son amant après sa mort en 2008). Ces débats internes n’empêchent pas d’identifier quelques invariants dans la pratique de l’outing. Ainsi, pour ses promoteurs, l’outing ne dénonce pas l’homosexualité mais l’homophobie. Par ailleurs, il n’est pas une atteinte à la vie privée. Il ne consiste pas à dévoiler les pratiques sexuelles d’une personne ni le nom ou le nombre de ses partenaires mais seulement son orientation sexuelle. Autrement dit, une donnée qui est toujours publique… Sauf quand il s’agit d’homosexualité ! L’une des visées de l’outing est ainsi de mettre en lumière l’hypocrisie d’une société qui hiérarchise les orientations sexuelles et relègue l’homosexualité dans la sphère privée quand l’hétérosexualité seule a droit aux honneurs de la sphère publique. Démarche militante et politique, l’outing est donc loin, très loin, des révélations sensationnalistes d’un tabloïd ou de la presse people

 

 

Il y a révélation et révélation…
La révélation de l’homosexualité d’une personne contre son gré n’est que rarement un véritable outing (au sens d’une action militante visant une personnalité publique qui, par son silence ou son inaction, fait le jeu de l’homophobie). Plusieurs motivations (autres que le militantisme anti-homophobie) peuvent être invoquées pour justifier une telle révélation, la plus fréquente étant le droit du public a être informé. C’est ainsi que l’hebdomadaire gratuit gay e-m@le a dévoilé l’homosexualité de Jean-Luc Roméro (2000), que le journaliste Guy Birenbaum a évoqué celle de Renaud Donnedieu de Vabres (2003) ou qu’un étudiant à Sciences Po Paris, Octave Nitkowski,  a divulgué dans un livre celle de Steeve Briois, haut responsable du Front national (2013). La justice lui a d’ailleurs partiellement donné raison, puisque la cour d’appel de Paris a estimé que «le droit du public à être informé» sur Steeve Briois «prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée» (elle a en revanche exigé le retrait du nom de son compagnon, un conseiller régional FN, au motif que celui-ci n’est pas «une personnalité politique de premier plan»). Le «droit à l’information» peut également servir d’excuse commode à des publications nettement plus sensationnalistes qu’informatives, telles que Closer  (affaire Philippot, 2014), dont le but est avant tout de vendre du papier. Enfin, de telles révélations peuvent avoir des motivations purement homophobes : il s’agit alors de dénoncer l’homosexualité, perçue comme un vice, sans faire de distinction entre personnalités publiques et anonymes. C’est ainsi que le magazine ougandais Rolling Stone a publié en 2010 les noms, adresses et photographies d’une centaine d’homosexuels, sous un bandeau explicite proclamant «pendez-les !».

 

 

Aller plus loin
Preuve que le concept d’outing a décidément bien du mal à traverser l’Atlantique, il n’existe quasiment aucune bibliographie en français sur ce sujet. Pour les anglophones, les ouvrages les plus importants sur l’outing sont sans doute ceux de Michelangelo Signorile (notamment Queer in America, paru en 1993 et jamais traduit en français), membre d’Act Up et l’un des pionniers de cette pratique controversée.

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