“Un pays pour mourir”, nouveau roman d’Abdellah Taïa

Dans son nouveau roman, Un pays pour mourir, l’écrivain marocain francophone Abdellah Taïa explore les destins de trois “parias sexuels”.

 

abdellah taïa un pays pour mourir roman editions du seuil heterocliteIls sont trois : Zahia, la vieille prostituée marocaine, Zannouba, le transgenre algérien, et Mojtaba, le jeune homosexuel iranien. Trois parias sexuels, trois déviants qui sont venus chercher une liberté à Paris. Trois parias tout court, trois invisibles, qui n’ont pas de place dans une France «trop fière de sa culture et toujours bien contente d’elle-même» (selon Zannouba dans une tirade d’une belle férocité). À ces trois-là, Un pays pour mourir, somptueux dernier roman d’Abdellah Taïa, donne des voix et des corps, en même temps que des traits attachants et généreux, des esprits drôles et parfois mesquins, des caractères forts et sensibles. À la première personne, le récit épouse successivement leurs points de vue et la nudité du style montre leur monde tel qu’il est. Il emprunte parfois à la littérature arabe, par des histoires à la manière des contes des Mille et Une Nuits qui parsèment le récit : l’emprunt est à l’image de l’islam, de la spiritualité et des traditions qui imprègnent les personnages. Une mélancolie traverse le roman ; ses héros ne peuvent s’en défaire. C’est cette mélancolie si violente de l’immigré, produite par ses conditions de vie politiques, sociales, sexuelles et économiques. Il n’est définitivement plus de là d’où il vient, ce lieu qu’il a fui en même temps qu’il en était chassé. Mais il ne peut non plus être de là où il se trouve désormais, où l’on ne veut pas de lui et où il reste un étranger. Aussi tangue-t-il entre deux rives. Dans Un pays pour mourir, le balancement se déploie autour de la famille, détestée et aimée. Et notamment autour des sœurs, présentes tout au long du roman : «je ne voulais plus rien savoir d’elles», déclare un personnage, avant de se raviser plus loin : «c’est dans les souvenirs que tu as gardés d’elles que tu trouveras le salut». On les retrouve jusque dans la dédicace polysémique que l’écrivain marocain vivant à Paris, musulman homosexuel, porte-parole honni, a choisi d’apposer à son livre : «pour mes sœurs, toutes mes sœurs». L’écartèlement entre la traîtrise et la fidélité est ce qui fait à la fois la puissance du livre et la grandeur de ses personnages, tout comme celle d’Abdellah Taïa.

Un pays pour mourir d’Abdellah Taïa (éditions du Seuil)

Photo : Abdellah Taïa © John Foley

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