Mansfield.TYA : “on ne sait pas faire des tubes”

Si Corpo Inferno, le dernier album de Mansfield.TYA, est sérieux et mélancolique, ses auteures, Julia et Carla, sont visiblement tout le contraire. C’est du moins l’impression qu’elles nous ont donnée lorsqu’on les a rencontrées à quelques heures du début de leur tournée, au cours d’un entretien dont chaque phrase ou presque était ponctuée d’un éclat de rire…

Cela faisait quatre ans que vous n’aviez pas sorti d’album. Qu’est-ce qui vous a incité à vous remettre en route ?

Julia : C’était le moment, en fait. Déjà, on a pris le temps de vivre, de partir loin. Et puis, il fallait qu’il se passe des choses dans nos vies que l’on puisse raconter. On a toujours fait comme cela. Le marché du disque, en ce moment, pousse au fonctionnement inverse : les artistes sont censés faire un disque, puis une tournée et vite un nouveau disque et ainsi de suite. On se demande du coup ce qu’ils ont à raconter. Ils parlent de leur vie dans le camion de tournée ? C’est intéressant ? Avec Mansfield.TYA, on a préféré respecter notre rythme.

Amener de la nouveauté, dans un processus de création, c’est donc important ?

Julia : Oui. On a une recette qui fonctionne. Et on sait bien que si on ne faisait que du violon-guitare-voix avec des petits couplets, ça marcherait tout seul, peut-être même mieux que ce qu’on fait maintenant ! Mais ça nous ennuierait. On aime chercher. Du coup, il y a un vrai défi à se renouveler. Les instruments conditionnent parfois une certaine musique et nous remettent souvent dans les mêmes rails musicaux. Dès le premier album, on avait une base violon-voix, avec une guitare en appoint. Puis on a amené le piano, la batterie… On ajoute des choses et on en enlève d’autres. Et pourtant, on reconnaît toujours Mansfield.TYA car on reste fidèle à ce duo violon-voix, qui est notre spécificité, même si c’est moins évident qu’un duo basse-batterie, par exemple !

Carla : C’est pour cette raison que cette pause est importante, car elle nous laisse le temps d’oublier nos vieilles habitudes. On n’essaye pas de refaire la même chose ou de reprendre là où on en était. On se pose plutôt la question suivante : où en est-on maintenant et de quoi a-t-on envie ? On a toujours un peu peur de se retrouver, car on ne sait pas si on va avoir des choses à dire. Il faut remettre tout cela en jeu à chaque fois.

Mansfield.Tya octobre 2015 heteroclite credit Richard Bellia

Cela passe d’abord par des discussions ?

Carla : Pas forcément, car discuter amène plus de la confusion qu’autre chose. On se retrouve et on fait de la musique. Jusqu’à présent, on a toujours été ravies de voir que cela marchait encore, qu’il y avait encore un truc à faire. Pendant le temps de pause, nous avons chacune vu et entendu beaucoup de choses. C’est très riche d’évoluer ensemble. On trouve beaucoup de plaisir dans le fait de chercher, de fouiller, dans tout ce temps de laboratoire.

Il y a une note d’intention qui accompagne Corpo Inferno et qui n’est pas destinée à ceux et celles qui aiment M. Pokora, Mimi Mathy et Nadine Morano. Que représentent pour vous ces trois figures ?

Julia : Oh, ben Nadine, on ne l’aime pas. Avec toutes ses sorties de route, c’est une très bonne cible pour déverser notre haine facilement. Mimi, on ne l’aime pas non plus, à cause de sa série Joséphine, ange gardien, qui est absolument insupportable et qu’on n’a vraiment plus envie de voir.
Carla : Moi je n’ai pas la télé, j’ai été épargnée.
Julia : M. Pokora, c’est pour la comédie musicale Robin des bois… Et en fait pour l’ensemble de sa carrière. Oui, pour l’ensemble de sa carrière… de merde.

Quel est le lien entre les trois ?

Julia : Ce sont des M. On joue au petit bac en ce moment et on en est à la lettre M.

Dans le morceau Le Monde du silence, il est question du militantisme. Vous soulevez la question suivante : résister ou s’isoler ?

Julia : Je me suis posée la question en écrivant la chanson. Je me disais que je n’étais pas de celles qui militent. Je n’aime pas militer. J’ai tendance à vouloir faire l’ermite et à m’enfermer et puis… Je me rends compte que vraiment, je m’emmerde !
Carla : La tentation de l’isolement…
Julia : Oui, c’est ça. Je me dis qu’en m’isolant, je vais penser des choses incroyables et en fait… Je ne pense rien.
Carla : C’est une façon de reconnaître que s’isoler n’est pas vraiment une solution non plus.
Julia : En écrivant le texte, en faisant de la musique, on lutte avec nos armes. Mais on ne fait pas de politique.

Vous ne vous pensez pas comme des militantes ?

Julia : Si, mais à travers notre musique, presque malgré nous. Déjà, le fait d’être des femmes sur scène et d’avoir le mode de vie qu’on a… Mais on ne fait pas de la musique pour être militantes.

Le genre du narrateur ou de la narratrice des textes de Mansfield.TYA est presque toujours indéterminé. Vos histoires d’amour chantées, sans adresse particulière, peuvent être lues comme homosexuelles ou hétérosexuelles. Vos paroles sont de ce fait assez queer. Êtes-vous d’accord avec cette lecture ?

Julia : Oui, elle est plutôt cool.
Carla : C’est lié certainement au fait que nos paroles sont assez intemporelles. On écrit toujours des textes style Moyen-Âge…
Julia : Oui, queer, pourquoi pas. Sans genre et sans époque, intemporel et «ingenré». Même si les textes ne sont pas écrits dans ce but-là, c’est assez essentiel.

Avez-vous conscience de l’importance de la communauté LGBT parmi le public de Mansfield.TYA ?

Julia : C’est cool d’être très suivies par une communauté, dont je fais partie, par ailleurs. Ça fait plaisir mais je pense que notre public s’est aussi élargi avec le temps.
Carla : Oui, surtout en termes d’âge.
Julia : On manque juste un peu de racistes dans le public ! Plus sérieusement, on aime parler au plus grand nombre. Et donc, évidemment, tant mieux si on parle aussi aux gays et aux lesbiennes.

La chanson Le Dictionnaire Larousse* est une petite déclaration d’amour à la langue française. Il n’est par ailleurs pas rare qu’on parle de poésie lorsqu’on évoque vos textes. Cela vous étonne ?

Julia : Ah non, on est plutôt fières !
Carla : C’est encore plus marqué sur cet album, parce qu’il y a notamment quelques vers de Victor Hugo. C’est plus explicite.
Julia : Écrire était un rêve d’enfant. Au lycée, c’était un peu compliqué parce que j’étais hyper-mauvaise en orthographe. Les chansons étaient donc ma meilleure solution pour échapper à cela. C’est parfait, ce terme de poésie, car c’est complètement daté. Il n’y a aucun avenir pour les poètes aujourd’hui. On sait bien qu’on n’est pas du tout entendu.

Il n’y pas d’avenir pour vous non plus ?

Julia : Non ! Voilà, exactement ! Et ça nous va bien !

Dans ce disque, vous faîtes cohabiter Victor Hugo et votre appétence pour la culture biblique ou latine avec des histoires de fonds d’écran. Ça vous semble cohérent ?

Carla : J’adore ce second degré chez Julia. Tu peux à la fois aimer Hugo et être pleine d’ironie.
Julia : Oui, c’est vrai que c’est assez anachronique…
Carla : Mais c’est aussi ce qu’on fait dans la musique : creuser les écarts.
Julia : On mêle le violon à des sons plus violents, plus bruts. Des sons tantôt baroques et tantôt gaveurs. Creuser les extrêmes, c’est intéressant.
Carla : On a toujours aimé les décalages, les contrastes.

Cet été est sorti votre single Bleu Lagon… (Julia et Carla éclatent de rire à cause du terme «single»). Pardon d’utiliser un terme formaté de l’industrie musicale, mais ce titre avait tout d’un single, d’un tube. Il ne vous ressemble pas, d’ailleurs. C’est un leurre. Car en dehors de ce «single» vous n’êtes absolument pas dansantes. Mansfield.TYA, vous boudez les dancefloors !

Julia : Nos morceaux ne décollent jamais. Ça ne marche pas.
Carla : Peut-être qu’on aimerait bien ?
Julia : Oui, mais on n’y arrive pas !

Il faut dire que le violon de Carla rend vos morceaux moins easy listening, il les «détube»…

Carla : Oui, j’arrive avec mes gros sabots et mon violon et je détube tout !
Julia : En fait, je me sens en analyse, là. Et je crois que ça fait dix ans que je crée des tubes… Et toi, Carla, tu saccages tout ! Non, plaisanterie mise à part, je trouve ça plutôt intéressant de proposer autre chose que des tubes dansants.

C’est assez paradoxal, car la fête et la danse sont souvent les sujets de vos chansons…

Julia : Sur un morceau comme Des coups des cœurs, j’adore chanter «emmène-moi danser» sur une musique qui est tout sauf dansante. Personne ne bouge et la musique n’entraîne personne.

La nuit est aussi un sujet récurrent de vos chansons, une obsession peut-être, même ? Que se passe-t-il la nuit chez Mansfield.TYA ?

Julia : Tous les chats sont gris ! La nuit, c’est mieux que le jour, on s’y sent plus à l’aise. Et en fait, le truc, c’est qu’on aime vraiment danser ! Nous ne sommes pas capables de créer des tubes mais, par contre, on aime bien danser sur ceux des autres ! On adore aller en club. La nuit, on peut aussi s’isoler. On se sent mieux, tous les magasins sont fermés, personne ne vient nous faire chier. Moi, je préfère la nuit.
Carla : Moi aussi. Le matin ou la nuit. L’après-midi, je suis vraiment une merde. Par contre, dès que le soir commence à tomber…

 

Mansfield.TYA (+ Jeanne Added), samedi 5 décembre au Fil, 20 boulevard Thiers-Saint-Étienne / 04.77.34.46.40 / www.le-fil.com

 

Photos © Richard Bellia

 

* Le Dictionnaire Larousse 

Je redessine un château fort
Pour faire passer ma gueule de bois
Je regarde la mort, page 303

Je pars à l’aventure
Dans mon dictionnaire Larousse
Je m’attarde sur bordure, amère et brousse

Il y a là de quoi passer une vie
Entre amour et zoophilie
Je vois page 267
Des cache-pots, des cache-nez,
Des cachettes

Des cachalots à mâchoire sans dent
Le nerf facial, corde du tympan
Il y a la photo de Fernand Foureau,
Dont personne n’a rien à cirer

J’apprends les signaux à bras
Utilisés par les marins
Puis je lis la définition
De panda et de catin

Okayama est au Japon
Ockeghem se trouve en Belgique
Les ruines du Parthénon
Côtoient les paralytiques

Pas de photos de Brigitte Bardot
Mon dictionnaire est démodé
J’apprends tout de même que “ecce homo”
Ne veut pas dire “être pédé”

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