Schlaasss

Schlaasss : «Putain, on est en train de faire une interview sérieuse, là ?»

Rencontre avec Daddy (le gars) et Charlie (la fille), du duo stéphanois Schlaasss, qui sort vendredi 3 mars son deuxième album, Casa Plaisance.

«La porte de derrière est fermée, passe par celle de devant» ordonne par téléphone Charlie à Daddy, en retard pour notre entretien. «Ben oui, c’est pas parce que c’est Hétéroclite qu’il faut que tu passes par la porte de derrière !». Le ton Schlaasss est posé…

Casa Plaisance est présenté comme «l’album de la maturité». On a du mal à y croire… Mais il a certainement dû être réalisé dans des conditions différentes de celles du premier, avec, si ce n’est de la maturité, de l’expérience en plus, non ?

Daddy : C’est toujours compliqué, le deuxième album, parce qu’on ne veut pas le faire comme le premier… On a beaucoup changé la production, c’est beaucoup plus resserré, beaucoup plus dense, plus travaillé. La production est léchée. J’ai bien dit «léchée». La production est bien léchée, j’insiste… Nous avons accompli un travail technique beaucoup plus ambitieux que sur le premier album. Est-ce que c’est pour le mieux ?

Charlie : On a travaillé avec un nouveau beatmaker, Kiki, et on a fait des featurings aussi.

Vous jouez, une nouvelle fois, avec tous les stéréotypes du hip-hop : le vocodeur, le flow, le langage, le machisme. Est-ce par moquerie ? Quelle est votre relation avec ce genre ?

C. : De ma part, il n’y a aucune moquerie. Je suis très attachée au hip-hop, j’en écoute beaucoup. Pour moi, l’auto-tune, ce n’est pas une moquerie. Dans le rap d’aujourd’hui, ça peut être très intéressant. Je comprends ce que ça peut générer de ridicule. Tout comme je vois le ridicule de certains aspects de la variété… Et pourtant, ça me touche. Je ne me moque que des postures machistes, qui, du reste, ne sont plus trop d’actualité dans le nouveau rap, sincèrement. Et aussi d’une forme normative qui existe dans le rap comme dans les autres genres.

D. : Je n’ai pas grand-chose à faire avec tout ça. Je découvre le rap seulement depuis que j’ai rencontré Charlie. Comme dans toutes les musiques, il y a des codes et ça, j’exècre. Parce que dès qu’il y a des cases, il y a des complaisances, des clones et tout le monde fait la même chose que les autres, parce c’est ça qui est cool… Alors que non. Le rap est un mouvement récent et très vivant. Surtout par rapport au rock’n’roll, qui est quasi-mort et qui ne permet plus que des reconstitutions, comme certains font des reconstitutions de la guerre de 14-18. On ne peut pas dire ça du rap.

C. : Whaou, la punchline !

Avez-vous entendu la «blague» de Canteloup sur l’affaire Théo ? On a l’impression que vous auriez pu la faire. Mettez-vous des limites à votre humour ? Prônez-vous le droit de rire de tout ?

D. : On ne se met pas trop de limites. Je me méfie des blagues racistes, qui peuvent me faire rire mais aussi être mal perçues. J’ai du mal avec la censure. Se fliquer mentalement, on le fait déjà tous très bien tout seuls. La blague dépend de qui la fait. Sortant de la bouche de Canteloup, qui n’est pas un mec spécialement drôle, ça ne sonne pas marrant. Si je sors la même blague maquillé comme une pute, ça ne donnera pas du tout la même chose.

C. : Ma limite à moi, c’est de ne pas blesser quelqu’un qui m’est proche. Tu peux attaquer des gros trucs, des symboles, mais je déteste l’humour méchant, direct, qui fait du mal. Ce qui est intéressant dans la provocation, c’est la joie que tu peux créer. C’est beaucoup plus fort que le cynisme ou la réflexion. La blague ultime, c’est celle qu’un père a faite à sa fille. Il est dans le coma, à l’hôpital, et lorsqu’il se réveille, il lui dit : «mais qui êtes-vous Madame ?» avant d’ajouter : «mais je déconne !». Ça crée une super émotion. Et la provocation, ça fait chaud au ventre. Mais ça dépend du contexte.

D. : Mais faut pas non plus s’interdire de faire des blagues, sinon c’est la police de la pensée. Canteloup a certainement fait une connerie, c’est débile, mais il en supporte les conséquences. Nous aussi, on a déjà fait des blagues complètement foireuses… Par exemple sur le cancer, alors que j’avais une copine dans la salle dont le père était en train de mourir d’un cancer… Ça craint, j’aurais pu y réfléchir.

Votre provocation est-elle parfois mal perçue ?

C. : Le risque d’être incompris est hyper-important. On n’aurait rien fait avec Schlaasss si on avait voulu être compris. C’est un risque à prendre. On ne remplit pas un dossier de subventions.

D. : On écrit des chansons, on ne fait pas de documentaires sur la politique ou le féminisme. Quand j’écris, je fais très attention à ce que je raconte. Je m’emploie à être au clair avec mes pensées politiques, même s’il y a de la provocation dedans. Après, que ce soit incompris par moment, c’est normal, car il y a des ambiguïtés voulues. Quand des personnes en arrivent à entendre l’exact inverse de ce que je dis, je pense que c’est parce qu’elles ne font pas l’effort de comprendre.

C. : La provocation est un miroir. Les gens perçoivent ce qu’ils voient en eux. Je me suis pas mal embrouillée avec des féministes et je voyais ce que je représentais par rapport à leurs combats à elles. Je ne représente pas le féminisme mais moi aussi, j’ai mon rapport personnel à cette question. J’ai rarement eu des débats intéressants. Il y a une nana, un jour, qui m’a vraiment fait réfléchir, car elle ne m’a pas attaqué de façon frontale, ni n’est venue me faire la morale en me disant : «tu ne peux pas être féministe et sexy en même temps». Parce que c’est souvent ça, ce qu’on me reproche : «tu ne peux pas être ordurière, reprendre les codes des mecs, être attirante… ». Cette nana, donc, m’a interpellée sur le mode : «tu as dit «pute» dans ton concert ? Moi je suis pute, mes potes elles sont putes et je ne dis rien, juste que c’est un mot, il est important». Là, j’ai réfléchi. Elle m’a mise face à un fait.

D. «Ce qui est insupportable, c’est la morale, parce que c’est toujours celle des autres» disait Léo Ferré.

C. : Whaouuuuuu !

D. : Le langage domestiqué, c’est le totalitarisme. C’est ce qu’a démontré Orwell. Si on commence à donner un sens unique aux mots, ce n’est plus du langage mais des mathématiques. Il n’y a plus de poésie, plus rien. Dans la même soirée que celle dont parle Charlie, une féministe vient me féliciter au stand de T-shirts en me disant : «c’est super, ce que vous faites : vous mettez tout le monde mal à l’aise, c’est génial ! Je suis une vieille féministe, ça fait longtemps que je mène ce combat. Merci, ça fait du bien, vous êtes craignos». Juste après, dans les loges, on fait une blague avec le mot «pute» et là, on se fait tomber dessus par trois furies qui commencent à faire la police. Je suis parti en disant que je n’avais rien à faire avec les flics. Soit on cloisonne les choses et on fait un truc pédagogique qui doit être compris en oubliant tout ce qui nous constitue (l’humour, la poésie…), soit… Putain, on est en train de faire une interview sérieuse, là ?

C. : C’est pas grave !

D. : Notre créneau, ce n’est pas non plus de faire des chansons politiques. On est hyper-conscients de plein de choses, on tache, mais on n’est pas les Béru !

Vous êtes quand même politiques : vous avez des combats et des cibles dans vos chansons.

D. : Ce que j’apprécie, c’est que depuis le début, on est politiques malgré nous. Notre but, ce n’est pas d’être politiques mais de faire des chansons et de jouer avec des matières… qui…

C. : «Jouer avec des matières», ça, ça fait dossier de subvention ! Pardon, je t’ai coupé, excuse-moi.

Vous dézinguez l’industrie du disque et toutes les stratégies qui vont avec. Vous êtes pourtant des pros de la communication : vous êtes très bien entourés, on vous a vu sur Canal +… Vous n’êtes pas hors-système non plus.

D. : Je viens d’un milieu underground dans lequel on peut voir des positions très radicales sur les salles de concert, la façon de produire son disque, la communication… Mais je crois qu’il y a une volonté chez Schlaasss de ne pas cloisonner les choses, de ne pas s’en tenir à une famille. Et de ne pas être entre soi.

Schlaasss véhicule quand même une image radicale.

C. : C’est une erreur de croire que la radicalité n’est qu’underground. Schlaasss repose sur le paradoxe, profondément, artistiquement. Oui, certes, on a maintenant une team mais elle est… improbable ! Je trouve ça idiot de croire qu’il y a des kits. Le kit radicalité ? Je suis une punk, je vais me raser la tête, me faire des piercings… Inversement : t’es un vendu si tu as ceci, cela. Nous, on fait ce qu’on veut. Par exemple, on a été invité sur Canal+, car oui, on a un attaché de presse. On se retrouve à parler pendant cinq heures et à se demander : «on y va ? On n’y va pas ? C’est une chronique de merde ? Si on y va, qu’est-ce qu’on fait ?». On finit par dire OK, mais on va vomir. On va vraiment vomir et on ne va pas leur dire. On le fait, donc. Le problème, c’est qu’ils cleanent tout : on n’a pas vraiment l’impression qu’on vomit et on se fait niquer. Par contre, dans ce parcours-là, il s’est créé un truc intéressant.

D. : De manière générale, le manque de paradoxe dans un projet artistique, dans une pensée, ça me fait flipper. C’est dangereux. C’est très important d’être ancré sur des positions, mais la souplesse de la matière grise est aussi très importante. On n’a pas de leçons à donner : on cherche, on se plante, on n’est pas des modèles.

C. : Des gens attendent de nous des trucs très précis. Mais mec, drive-toi tout seul !

Je ne vous demande pas ce que vous pensez de la situation politique actuelle en France…

D. et C. : Merci !

Avez-vous des consignes de vote pour votre public ?

C. : C’est la dernière chose que je ferai !

D. : «Consignes» : non. «Vote» : non ! Il reste le «de».

 

Casa Plaisance de Schlaasss (Atypeek Music). Sortie vendredi 3 mars.

 

 

À gagner :

3×2 places pour Schlaasss Release Party + Ddamage + Joe La Mouk, jeudi 9 mars à Bizarre, 9 rue Louis Jouvet – Vénissieux / 04.72.50.73.19 / www.bizarre-venissieux.fr

4×1 place pour Schlaasss + Joe La Mouk, vendredi 17 mars au Fil, 20 boulevard Adolphe Thiers-Saint-Étienne / 04.77.34.46.40 / www.le-fil.com

Pour remporter une invitation, envoyez vos nom et prénom à redaction@heteroclite.org (objet : Schlaasss + ville de votre choix).

 

Photo de Une © DR
Photo 1 © Ra2
Photos 2 & 3 © Sidonie Deschamps

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