visioconférence Mlle Agresse

Le Détail qui tue : Skype qui peut

Confiné·e et quelque peu résigné·e, Mlle Agresse se voit soumis·e à cette injonction des temps modernes : la visioconférence à toute heure du jour et de la nuit. 

 

« Toutes les anecdotes contenues dans ces volumes sont vraies, ou du moins l’auteur les croit telles. » Stendhal, Promenades dans Rome.

 

Vous vous extirpez tant bien que mal d’un sommeil brumeux, la wig de travers et l’eye-liner en berne. Votre premier réflexe est d’accuser les trois bouteilles de vin blanc vides qui trônent au pied du canapé, mais vous avez toujours farouchement défendu la présomption d’innocence. Vous vous contentez donc de jeter un regard en coin aux Soeurs Aligotée sans piper (ni Prue ni Phoebe) mot et vous vous servez un café. Vous gardez néanmoins à l’esprit le souvenir tenace d’une vision kaléidoscopique et pixelisée de vos ami·es, qui affublé·e d’oreilles de lapin, qui rongeant une carotte, qui portant un chien sur la tête. Ce n’est cependant pas la raison qui vous fait défaut en cette troisième semaine de confinement. Vous avez simplement été pris·e au piège de ce mal né avec le Covid-19 : la visioconférence apéritive.

En effet, depuis le début de la quarantaine, ce n’est pas à une mise à l’isolement que vous devez faire face mais à une incessante convocation au parloir. Toute la journée, des bips autoritaires émanant d’applications que vous n’avez pas le souvenir d’avoir installées vous somment de vous rendre disponible dans la minute, plus corvéable qu’une assistante personnelle de Naomi Campbell.

Même votre mère s’y est mise. Alors qu’elle vous raconte par le menu détail ses théories sur l’origine de l’épidémie, forgées par des heures interminables de visionnage de chaînes d’info en continu et agrémentées de quelques éléments glanés sur le mur Facebook de sa copine Josiane, trois questions vous viennent à l’esprit. 1/ Votre mère a-t-elle opté pour une coupe de cheveux audacieuse ou s’agit-il d’un grotesque filtre animalier ? 2/ Josiane a-t-elle suivie une formation accélérée en virologie en répondant à un mail de l’University of Phoenix ? 3/ Et surtout, qui a appris à votre mère l’existence de la fonction « appel vidéo » de Messenger,  que vous aviez pris un soin maladif à lui cacher jusqu’à présent ?

Vous soupçonnez évidemment votre frère qui tente de vous refiler la garde de ses gosses par écrans interposés depuis trois jours au prétexte fallacieux que Tata Agresse leur manque, alors que vous connaissez mieux les noms des enfants d’Angelina Jolie que ceux de vos neveux et nièces. D’ailleurs, vous n’êtes même pas sûr·e d’avoir une nièce.

Néanmoins, vous décidez de passer outre ces interrogations, vous enfilez mentalement votre carré blond et votre combinaison en latex noire :  à vous désormais de vous montrer à la hauteur de Jennifer Garner dans Alias pour vous sortir de ce mauvais pas. Vous gratifiez votre mère d’une chorégraphie saccadée entrecoupée de monosyllabes incompréhensibles dont Trisha Brown n’aurait pas eu à rougir et vous raccrochez en prenant soin de lui envoyer un sms aussi énigmatique qu’efficace : « Problème de réseau ».

 

© illustration : François Leconte 

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