Sexe, art et morale

Ruwen Ogien a publié en 2007 La liberté d’offenser. Sexe, art et morale aux éditions La Musardine.

Quels types d’œuvres vise aujourd’hui la censure ?
Le sexe reste un motif important de censure. Cependant, les associations familiales ou religieuses n’attaquent pas seulement les œuvres à caractère sexuel, mais aussi toutes celles qui, de près ou de loin, tournent en dérision la symbolique chrétienne ou les symboles de la nation (drapeau, hymne…). Ce que j’essaie de montrer dans mes analyses, c’est que certains politiciens et certaines associations familiales ou religieuses essaient de réhabiliter les vieux délits de blasphème, de sacrilège, d’obscénité, d’outrage aux bonnes mœurs en se servant de façon assez perverse de l’argument de la protection des enfants ou des lois antiracistes, dont l’esprit est complètement différent, puisqu’elles visent à protéger des personnes concrètes et non des choses abstraites.

La protection de l’enfance est-elle, selon vous, un prétexte qui cache une censure plus politique ? 
On ne punit plus, en principe, ce qu’on appelle les «crimes sans victimes», c’est-à-dire les atteintes à des choses abstraites comme Dieu, les relations sexuelles entre adultes consentants ou les dommages qu’on se cause à soi-même comme le suicide. Ce qui est supposé justifier l’intervention répressive de l’État dans les sociétés démocratiques, pluralistes et laïques, c’est le principe de ne pas nuire à autrui. Ce principe protège des personnes concrètes ou des groupes de personnes particuliers de préjudices concrets. Finalement, dans tous les cas, les œuvres de l’esprit ne sont plus condamnées parce qu’elles sont «scandaleuses», «blasphématoires», «subversives» ou «obscènes» mais parce qu’elles sont censées porter atteinte à l’intégrité psychologique ou physique de personnes particulières ou de groupes de personnes clairement identifiés : femmes, enfants, catholiques pratiquants, etc. À mon avis, l’appel à la protection de l’enfance est un pur procédé tactique adopté des associations familiales et religieuses qui s’adaptent ainsi aux lois d’aujourd’hui.

Le recours à la censure est-il la conséquence de la force de mouvements néo-puritains ou de la volonté nationale de ménager les identités et les croyances de chaque individu ? 
Il se peut en effet qu’un mouvement néo-puritain soit à l’origine profonde de ces tendances répressives. Mais il ne faut pas négliger non plus l’hypothèse assez différente que vous évoquez lorsque vous parlez des «individus dont il faut ménager les identités et les croyances». On peut interpréter ces tendances répressives comme une sorte d’«effet pervers» de l’application du principe de non-nuisance à autrui selon lequel seule la volonté d’empêcher que des préjudices concrets, psychologiques ou physiques soient causés à des personnes concrètes et non consentantes justifie les interventions répressives de l’État. C’est en vertu de ce principe que les plaintes de personnes et de groupes «offensés», dont les «sentiments» sont soi-disant «blessés», dont la dignité a été atteinte, dont le consentement était «faussé» ou «inexistant en réalité» se multiplient.

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