Simplement vivre ensemble

Laurence et Roger forment un couple mixte, franco-guinéen. Grâce, entre autres, au collectif des Amoureux au ban public, ils vivent aujourd’hui leur relation comme n’importe quel couple marié. Ils témoignent aujourd’hui leur bonheur d’être ensemble et leur honte du système qui a tenté de les en empêcher.

Un café entre deux visites d’appartement. Laurence et Roger souhaitent en effet acheter leur prochain logement avant de fonder une famille. Ils se sont rencontrés en décembre 2006 mais ne peuvent profiter sereinement de leur relation que depuis quelque mois. Car au moment où ils tombent amoureux l’un de l’autre, Roger est en situation irrégulière ; Béninois d’origine, il vit en France depuis janvier 2006 et attend une décision de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), auprès duquel il a sollicité l’asile politique. C’est en compagnie de sa nouvelle petite amie, Laurence, qu’il apprend que sa demande est refusée, tout comme le recours qu’il forme un peu plus tard. Nous sommes en octobre 2007. Il reçoit alors une obligation de quitter le territoire français et doit abandonner la chambre qu’il occupait au Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA) de Villeurbanne. Laurence et Roger, sûrs d’eux et poussés par la nécessité (Roger peut être arrêté n’importe quand et expulsé), décident de se marier. Direction la mairie du huitième arrondissement, où Laurence réside depuis dix ans : carte d’identité consulaire, carte vitale, attestations de résidence de la CADA… l’employée de Mairie qui les reçoit valide leur dossier et fixe le mariage au 5 janvier. Mais trois jours plus tard, coup de téléphone : la Mairie exige de Roger qu’il dispose d’un Visa D (long séjour) pour autoriser le mariage ; ce qui n’est légalement pas du tout nécessaire puisque la présence irrégulière sur le territoire ne doit pas interférer avec un mariage. Laurence et Roger se tournent vers la CIMADE où est en train de se monter le collectif des Amoureux au ban. Claire, juriste militante, obtient un procès verbal en annulation de la décision municipale : Laurence et Roger peuvent finalement se marier le 5 janvier. Mais le parcours du combattant n’est pas terminé : il faut désormais obtenir le fameux visa D grâce auquel Roger pourra bénéficier d’un titre de séjour d’un an au «vie privée et familiale». Apparemment difficile, sinon impossible, à obtenir depuis la France. Roger part donc en Guinée, avec Laurence, où il reste deux mois à interpeller l’ambassade. Un jour, on l’y reçoit et lui rend son dossier sans visa. Médusés, les deux amoureux se tournent vers leur avocate qui rappelle aux services de l’ambassade qu’il est interdit de ne pas délivrer de visa au conjoint marié d’un français. Roger obtient le sésame en avril. Deux mois, c’est parfois beaucoup plus qui s’avèrent nécessaires : un ami camerounais de Roger, marié en France, est parti en juin dernier et n’est toujours pas revenu. Laurence dit qu’elle a honte, qu’elle est en colère. Elle l’a accompagné une fois à l’Ambassade, a eu le malheur de vouloir s’exprimer ; on l’a alors coupée : «le Visa, c’est pour Monsieur, pas pour vous, alors taisez-vous». Elle raconte l’attente interminable, les toilettes réservées au personnel, le manque d’informations sur les pièces à réunir pour le dossier de demande de visa. Écœurée, elle est néanmoins aujourd’hui heureuse de vivre enfin sa relation avec Roger sans entraves. Car il y en a eu, des entraves : financières (les voyages et timbres fiscaux coûtent cher), administratives, sociales. De nombreux couples ne résistent pas à la pression, à la suspicion permanente. Il faut se méfier de la police, mettre en scène sa vie conjugale plus que de raison au cas où une enquête aurait lieu avant le mariage : Roger et Laurence ont ainsi rempli leurs murs et leur ordinateur de photos de couples, conservé toute leur correspondance. «Un mariage est déjà bien assez complexe et stressant comme ça», s’amuse Laurence. En février, Roger retournera à la préfecture pour renouveler son titre de séjour, accompagné de sa femme, sans laquelle les agents administratifs pourraient douter de leur vie en commun. Ils participeront aussi au Bal des amoureux du 14 février, car «il faut se mobiliser, soutenir les autres couples ; on ne peut pas continuer comme cela à se faire traiter en délinquants alors que l’on veut simplement vivre ensemble».

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