Thomas Lebrun présente un spectacle rondement mené

Thomas Lebrun présente aux Subsistances l’Itinéraire d’un danseur grassouillet, une conférence dansée aussi improbable, joyeuse et inventive que son chorégraphe. Rencontre.

 

50bde016d3506_portrait_thomas_lebrun___f._iovinoIl aurait bien aimé faire de la danse classique. Pour les arabesques, les pointes et le tutu. Mais la panoplie étant réservée aux dames, et peu disposé à porter ces dernières à bout de bras, Thomas Lebrun s’est rallié à la danse contemporaine. «Là je peux faire la danseuse étoile si je veux», justifie-t-il. Un chapitre généalogique raconté très solennellement, tout juste ponctué d’un petit rire, cynique ou malicieux, au choix. Tour à tour dans la conversation, Thomas Lebrun parle sérieusement, se moque de lui-même et très souvent introduit ou conclue ses phrases par «j’m’en fous» : un mélange de désinvolture et de gravité qui laisse parfois pantois. Une formation contemporaine, donc, et une adolescence sur les podiums des discothèques de Belgique où le jeune homme du Nord développe son goût de la scène : «tu peux raconter que j’étais gogo danceuse, j’m’en fous». Dans sa nouvelle création, Itinéraire d’un danseur grassouillet, pas de tutu mais le corps et ses formes pour costume. Des formes dont on dit qu’elles sont généreuses pour une boulangère et disgracieuses pour un danseur ; elles lui ont fermé les portes de formations comme celles du Conservatoire national de Lyon ou du Centre National de Développement Chorégraphique d’Angers. Mais elles ne l’empêchent pas de danser. Il a notamment travaillé avec des chorégraphes comme Daniel Larrieu, Christine Jouve ou Christine Bastin avant de fonder en 1998 sa propre compagnie, Illico. Sur l’affiche du spectacle, Thomas Lebrun porte une tête d’hippopotame. Quand on l’interroge à ce propos, sans dissimuler une certaine perplexité, il jette un regard sévère, comme à l’attention d’un bachelier qui n’aurait pas lu La Princesse de Clèves : «c’est Fantasia évidemment ; comment faire un spectacle sur les danseurs gros sans faire référence au ballet des hippopotames de Fantasia…». D’autres inspirations ? «Oui, peut-être bien ces films où les héroïnes sont grosses et moches au début et finissent en reines de promos ou de leur propre mariage sur fond de ABBA (Muriel, NdlR). Sauf que là on reste gros».

Rire et cruauté

Thomas Lebrun avait cette pièce en tête depuis longtemps ; il l’a mûrie en entendant des remarques de critiques ou de spectateurs : «ça doit être difficile pour vous de sauter si haut» ou «malgré tout, vous êtes tellement léger, c’est incroyable». Pour préparer le spectacle, il échange notamment ses expériences avec Marlène Saladana, qui elle aussi essuie régulièrement des commentaires liées à sa corpulence, comme après sa géniale prestation dans Gombrowiczshow de Sophie Perez et Xavier Boussiron (aux Subsistances en novembre 2008), où elle escaladait nue une montagne. Certains lui dirent qu’elle était ridicule, qu’on se moquait d’elle. Et Thomas Lebrun de s’emporter : «comme si on n’était pas assez grands pour savoir quelle image on donne de nous quand on met notre cul à l’air. Si on a envie de faire rire avec notre cul, c’est pas un drame». Marlène, dans la création de Lebrun, participe à une «conférence dansée sur le danseur à surcharge pondérale». Elle est psychologue, «grande déesse de la parole» et s’entretient avec une nutritionniste (Angèle Micaux) et un journaliste critique de danse (Philippe Verrièle). Face à eux, un «danseur bien foutu anonyme» (Raphaël Cottin) et un «danseur gros anonyme» (Thomas Lebrun). Au début du spectacle, ils dansent ensemble, puis l’un d’eux est écarté. «C’est évidemment le danseur mince qui reste car quand t’es gros, t’es pas pris», explique placidement Lebrun. Bien sûr, ce sont des rapports de pouvoir qui se jouent sur le plateau, entre une nutritionniste «prescriptrice», un critique «juge», une psychologue «empathique». Des situations et des paroles volontiers grossières pour une pièce qui devrait osciller entre rire et cruauté. Si l’on en croit le chorégraphe, il ne s’agit pas d’un projet militant mais d’un acte de présence ; «le propos n’est pas de dire «Nous aussi on a le droit de danser» de la même façon que ça ne m’intéresse pas de dire «je suis homosexuel, j’ai aussi le droit de vivre». Je suis gros et je danse, je suis homosexuel et je vis, c’est tout». Malgré une volonté affichée de ne pas trop charger son spectacle d’enjeux politiques, un emploi fréquent et déstabilisant d’expressions tranchantes, Thomas Lebrun délivre au moins une conviction profonde, sans doute centrale dans son œuvre, lorsqu’on lui demande de quoi procède selon lui la grâce : «la grâce est dans l’humilité“.

Du 5 au 10 mars aux Subsistances, 8 bis quai Saint-Vincent-Lyon 1 / 04.78.39.10.02
www.les-subs.com

Photos : © Frédéric Iovino

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