Genres opposés

Deux ouvrages sont parus coup sur coup, témoignant chacun d’un rapport singulier au genre, dans les deux cas offensif et décomplexé

Wendy Delorme, volontiers Pin Up, queer et provocatrice, l’annonce dans son livre : «À ta naissance les docteurs ont dit «c’est une fille» et tu es tombée tellement d’accord avec cette sentence que tu n’as cessé d’en rajouter depuis ». Pour Axel Léotard, c’est un peu la démarche inverse, le verdict biologique n’est pas raccord avec son sentiment intime. Elle est née transsexuel, garçon dans un corps de fille, tout le chemin consistera à mettre son corps en adéquation avec son genre. Deux parcours opposés qui ont en commun d’être les manifestations d’une volonté de ne pas subir une injonction à la féminité, sublimée dans un cas, combattue dans l’autre. Wendy Delorme est hors case. Plutôt que de faire le bélier et de foncer tête baissée dans les murs de la normativité, elle adopte la méthode du cheval de Troie, prenant la forme que l’on attend d’elle – d’une fille en général – forçant les traits de la «normalité» jusqu’à les faire vaciller. L’uniforme de combat pour elle, c’est bustier léopard, soutien-gorge rembourré et rouge à lèvres. C’est ainsi qu’elle surjoue la femme et déjoue les pièges de la féminité. Le premier texte de son recueil Insurrections ! en territoires sexuels, intitulé Fem-me la présente en amazone urbaine, aussi conquérante dans l’espace public que dans le lit de ses amantes. Dans la vraie vie, Wendy multiplie les terrains de jeu et de lutte : doctorante en sciences de l’information et de la communication, elle anime des ateliers d’éducation sexuelle et se produit dans des performances queer-burlesques. Elle apparaît comme un électron libre dans le champ parfois dogmatique des militant-es LGBT. C’est d’ailleurs un des intérêts de son livre – c’était déjà le cas dans son précédent, Quatrième génération – : elle analyse sans concession, avec empathie et distance, l’univers dans lequel elle évolue, en l’occurrence la scène alternative transpédégouine parisienne. Un court texte intitulé Joie radicale est à cet égard aussi émouvant qu’édifiant : elle y observe cette génération qui devient adulte après les grands combats de libération homosexuelle, pour qui la politique commence dans les pratiques quotidiennes, qui jouit autant qu’elle pense et parfois désespère. Un texte qui se prolonge dans un autre texte intitulé Bisounours, où elle se moque avec tendresse des marges idéalistes, parfois naïves, dans lesquelles elle évolue.

Transition

Le livre d’Axel Léotard commence Gare de Lyon, quand une jeune fille âgée de vingt ans débarque à Paris. C’est ici qu’elle va devenir adulte et qu’elle va mûrir, treize années durant, son projet de transition sexuelle. «Parce qu’officiellement je suis Madame ou plutôt Mademoiselle, je suis transsexuel», explique celle qui sera bientôt «celui», prénommé Gabriel «dans son sexe d’arrivée». Mauvais genre n’est pas un manifeste, ni un manuel, mais le récit d’un parcours du combattant. Car c’est à une guerre que se livre Gabriel, contre l’institution médicale qui veut à tout prix le considérer comme malade, contre la misère de ses compagnons d’infortune, condamnées, en ce qui concerne de nombreuses transsexuelles, à la prostitution et souvent victimes du VIH. Axel-Gabriel est photographe et militant, aujourd’hui reconnu, par la justice et par son entourage, comme un homme. C’est certainement ce qui lui permet de raconter son histoire de façon aussi sereine, avec indignation parfois mais avec distance, toujours. Il est un observateur critique du sort réservé aux personnes trans autant que des égarements des communautés LGBT dans le combat pour l’égalité des droits. Mauvais genre offre une superbe galerie de portraits de militants, de figures excentriques, d’individus en souffrance. Plus qu’aucun essai théorique sur le sujet, ce livre permet de comprendre un peu mieux les difficultés mais aussi les victoires que peuvent rencontrer dans leurs parcours les personnes transsexuelles.

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