Art, désirs, visibilité

Les Assises de la mémoire gay et lesbienne interrogent cette année la façon dont les artistes s’emparent des questions de sexualité et de genre. Ils le font, c’est certain, mais quelle visibilité pour ces productions ?

Patrick Cardon, figure majeure de la visibilité gay au cours des vingt dernières années, insiste sur ce point dans une tribune qu’il signe dans ce numéro d’Hétéroclite (page 6) : «Les communautés LGBT ont le droit à des fonds culturels autant qu’ des fonds biaisés (maladie, discrimination), qu’ils soient publics ou privés. Trop peu de gens réclament l’entrée à l’Université des études LGBT et encore moins des centres d’archives et de documentation tels qu’il en existe à Lyon». En effet, s’il est admis que de nombreux artistes questionnent leur identité sexuelle et leur inscription dans la communauté, les canaux de diffusion, les lieux de confrontation et de mise en perspective de ces œuvres restent rares. Pour résumer, la production existe mais les structures pour l’organiser et la faire vivre semblent absentes. Alors que les pays anglo-saxons, moins frileux que nous à l’égard des problématiques identitaires, ont développé depuis trente ans des centres d’études féministes, gays, lesbiennes, queer (etc.) dans les universités ainsi que des rayons de bibliothèque dédiés, il est toujours difficile en France de savoir dans quelle direction aller pour amorcer ou approfondir une réflexion sur le genre, qu’elle soit personnelle ou universitaire. Les Assises de la mémoire gay et lesbienne de Lyon ont été créées en 2001 au sein de la Bibliothèque municipale de Lyon pour ouvrir un espace de rencontre, d’interrogation sur les sexualités minoritaires et les identités de genre en plein cœur de l’espace public. Un succès puisque la huitième édition des Assises a lieu cette année, organisée par le Point G, un centre de ressources sur le genre unique en France, inauguré en 2007. Le thème retenu par la conservatrice des lieux, Sylvie Tomolillo, joue comme un miroir puisqu’il s’agit de se pencher sur les productions artistiques homosexuelles – plus largement traitant du genre et des sexualités – mais aussi et surtout de leur écho, de leur diffusion dans l’espace public. Comment l’artiste Américain se retrouve au Musée d’Art Contemporain de Lyon ? Comment un auteur installé comme Gide publie-t-il un essai sur l’homosexualité, Corydon, en 1922 ? Comment l’auteure Monique Wittig reçoit-elle le Prix Médicis en 1960 pour l’Opoponax avant de s’imposer comme une figure de proue du féminisme lesbien qui laissera à la postérité cette fameuse sentence : «les lesbiennes ne sont pas des femmes» ? Autant de questions passionnantes qui réuniront pendant deux jours, comme chaque année, spécialistes et profanes, militants et universitaires bien au delà des sexes et des sexualités.

Lyon confluence

«Nos désirs sont des arts» ; c’est donc le titre des Assises cette année. On se doute bien que l’art se nourrit du – des – désirs(s), qu’il n’est peut-être même que cela. Mais où vont les œuvres et les pensées qui s’avèrent troublantes en la matière ? Quelle visibilité pour toutes ces œuvres qui s’intéressent aux marges, aux minorités ? Trouver en librairie des ouvrages de Monique Wittig, ou même d’un auteur plus consensuel comme Hervé Guibert n’est pas forcément évident. Mais Lyon est particulièrement bien doté en lieux ainsi qu’en personnalités qui conservent et agitent la mémoire gay et lesbienne. Il s’agit désormais de la seule ville de province à disposer encore d’une librairie gay et lesbienne, État d’Esprit (rue Royal dans le 1er) ; dans les rayons se côtoient histoires d’amour à l’eau de rose, essais théoriques ardus, manifestes politiques essentiels et grands romans incontournables. Les librairies plus généralistes ne sont pas en reste avec des rayons spécialisés au Bal de Ardents (rue Neuve dans le 1er) ou à la librairie Passages (rue de Brest dans le 2e). Depuis septembre 2007, l’École Normale Supérieure de Lettres et Sciences Humaines (à Gerland) abrite les rendez-vous du Groupe de Lecture gay et lesbien, animé par Éric Bordas. Et bien entendu, au centre de tout cela, le Point G, à la Bibliothèque, qui n’a pas d’équivalent en France. Ces lieux où la mémoire peut faire résonner l’actualité ne sont pas parqués mais bien au cœur de la ville et des institutions. Aux habitants, directement concernés ou non, revient ensuite la responsabilité d’en profiter.

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.