Derniers soupirs

Mort à Venise à l’Opéra ? Très injustement mis au second rang par la sortie du film de Visconti, l’opéra testamentaire de Britten n’a eu, ni en son temps ni par la suite, le succès mérité.

Les similitudes sont étonnantes entre Visconti et Britten. Le cinéaste comme le musicien sont homosexuels et meurent la même année, en 1976. Tous deux sont fascinés par la nouvelle de Thomas Mann et s’en inspirent chacun de belle manière. L’écrivain Thomas Mann, il faut faire une parenthèse, vouait quant à lui une admiration sans borne à Gustav Mahler, à tel point qu’apprenant la mort du compositeur juste avant son voyage à Venise en 1911, il décide de prénommer Gustav son héros, le vieil écrivain von Aschenbach. De Britten, les mélomanes connaissent plus le divin Songe d’une nuit d’été ou l’opéra de chambre si bouleversant Le Viol de Lucrèce. Dès octobre 1971, le compositeur et son compagnon, Peter Pears, sont à Venise. Britten est aux portes de la mort lorsqu’il compose son opéra et l’œuvre résume sa quête artistique, philosophique et personnelle. Quel beau testament ! Pour Mort à Venise, Benjamin Britten transcende ses thèmes récurrents : l’enfance, un mélange de fascination et de répulsion pour la mort, l’homosexualité mal assumée, le désir… Tout y est fortement concentré comme si le compositeur voulait absolument tout redire avant de mourir.

Gondole sur le Styx

Britten, aidé de sa librettiste Myfanwy Piper, donne vie à l’écrivain allemand Gustav von Aschenbach dont la découverte de Venise et la suprême beauté d’un jeune adolescent bousculent tous les repères. La cité des Doges, ville de tous les fantasmes, se mue en lieu morbide et asphyxiant : la mort rôde, une épidémie ravage Venise. Là, von Aschenbach rencontre des personnages énigmatiques. Du voyageur au vieux dandy, du gondolier – passeur du Styx ? – au gérant de l’hôtel, tous le questionnent sur sa propre vie, tous lui rappellent l’imminence de la mort. C’est à l’hôtel que le vieil écrivain croise le jeune Tadzio qui va bouleverser ses derniers jours. L’immanence et l’évanescence de Tadzio, héros grec, éphèbe inaccessible, sont transcendées par une orchestration subtile, comme en suspens. L’écriture musicale de Britten atteint des sommets de pureté. Des monologues déchirants d’Aschenbach accompagnés sobrement au piano jusqu’à la splendide barcarole qui donne l’illusion du bonheur, Mort à Venise est une partition complexe. Rien n’est explicite, l’orchestre suggère et Britten nous fait entrer dans un véritable labyrinthe aux couleurs fascinantes. Le Japonais Yoshi Oida qui a travaillé de longues années avec l’inégalable Peter Brook est connu pour son remarquable sens de l’épure, il signe là une mise en scène très attendue.

Du 23 mai au 1er juin à l’Opéra de Lyon, place de la Comédie-Lyon 1
www.opera-lyon.com

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.