Frictions et réalités

Le rappeur Orelsan est aujourd’hui accusé d’inciter par ses chansons à l’homophobie et à la violence envers les femmes. Son cas est emblématique de tensions de plus en plus manifestes entre liberté d’expression et lutte contre les discriminations.

Pour l’état civil, il s’appelle Aurélien Cotentin, mais c’est sous le pseudonyme d’Orelsan qu’il s’est fait connaître. Originaire de Caen, ce jeune homme de «25 ans, célibataire, rappeur, crackeur (…), président de [s]on club d’échecs », comme il se présente lui-même dans sa chanson Différent, a accédé au privilège d’une notoriété nationale au printemps dernier, lorsque sa charmante bluette délicatement intitulée Sale Pute a été épinglée par diverses associations féministes. Sont notamment mises en causes les paroles suivantes, adressées par un jeune homme cocufié à sa copine volage : «on verra comment tu fais la belle avec une jambe cassée / on verra comment tu suces quand je te déboîterai la mâchoire», «je vais te mettre en cloque et t’avorter à l’opinel», etc. Des «punchlines», comme on dit dans l’univers du rap, accusées d’inciter à la violence envers les femmes, et qui viennent de lui valoir l’annulation de son concert programmé aux Francofolies de La Rochelle ainsi que l’indignation de la présidente de la région Poitou-Charentes Ségolène Royal. Bien avant cet épisode récent, Orelsan avait déjà fait parler de lui pour un autre chanson, cette fois-ci intitulée Changement, et dont les paroles ne visaient pas les femmes, mais plutôt les homosexuels. Florilège : «En boîte la CC circule, les pédés gesticulent» ; «les mecs fashion sont plus pédés qu’la moyenne des phoques» ; «les gars s’habillent comme des meufs et les meufs comme des chiennes/Elles kiffent les mecs efféminés comme si elles étaient lesbiennes». Les accusations combinées d’homophobie et de sexisme ont abouti à plusieurs annulations de concert ainsi qu’au retrait de l’album Perdu d’avance des médiathèques parisiennes (à la demande de l’adjoint à la culture M. Christophe Girard).

Mauvais goût

Peut-on retirer une œuvre d’une médiathèque sous prétexte qu’elle véhicule des propos homophobes ? Doit-on interdire de diffusion ou de concert des chansons sexistes ? Pour Agnès Tricoire et l’Observatoire de la création artistique dont elle est présidente, la réponse est non. Il convient de ne pas confondre discours politique et création artistique. Les paroles d’Orelsan sont prononcées dans le cadre d’une œuvre et appartiennent donc au domaine de la fiction. Elle rappelle que la liberté de création est plus étendue encore que la liberté d’expression (voir entretien ci-après). Un avis que ne semble pas partager Hussein Bourgi, le président du Collectif contre l’homophobie. En 2005, l’association était parvenue à faire annuler un concert du chanteur de Dancehall Capleton, connu pour en appeler au meurtre des homosexuels dans certaines de ses chansons. Il défend aujourd’hui la même position, expliquant être «affligé par le concert de ces bonnes âmes prêtes à toutes les concessions et toutes les contorsions pour plaider la cause d’un chanteur aux textes abjects». Abjects, nombreux sont les lecteurs qui en conviendront. Mais de nombreux livres ou de films seraient mis au ban si l’on suivait ce raisonnement. Le genre même des pratiques artistiques incriminées n’est-il pas en cause ? Les associations se seraient-elles ému de la sorte si le personnage d’une série télévisée ou d’un film classé art et essai avait prononcé les mêmes paroles qu’Orelsan en première partie de soirée ? Comme le rappelle le philosophe Ruwen Ogien dans son livre La liberté d’offenser. Le sexe, l’art et la morale, le mauvais goût n’est pas un crime et la médiocrité artistique n’a rien à voir avec sa légalité. Il est par ailleurs remarquable qu’aucune personnalité politique, en Poitou-Charentes notamment, ne se soit exprimé sur la chanson de Diam’s intitulée Confessions nocturnes. On peut notamment y entendre «Donne moi le cric, la bombe lacrymogène / Vite, donne moi une clé, donne moi sa plaque / Que je la raye sa BM, que je la crève sa BM / Que je la saigne comme il te blesse sa BM» ; il s’agit bien sûr de la BM du petit copain volage, accusé d’avoir «baiser cette chienne !». Sans doute Orelsan aurait-il du prendre parti pendant les élections présidentielles.

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