Double exclusion

Franck Chaumont explique le double mécanisme d’exclusion dont sont victimes les homos des banlieues.

Franck Chaumont, ancien journaliste et directeur de la communication du mouvement Ni Putes Ni Soumises, est aujourd’hui assistant parlementaire de la députée (PS) de Moselle Aurélie Filippetti. il est l’auteur de Homoghetto. Gays et lesbiennes dans les cités /…/

Comment la ghettoïsation progressive des banlieues a-t-elle “produit“ de l’homophobie ?
À la fin des années 70 et au début des années 80, les banlieues pouvaient encore être véritablement qualifiées de “quartiers populaires“, habitées certes par des personnes à faible revenu, mais où persistait tout de même encore une forme de mixité sociale et ethnique. Tout n’était certes pas rose, mais on n’atteignait pas alors ce degré de violence que connaissent les banlieues d’aujourd’hui. Mais au fil des années, la crise aidant, la situation s’est tendue, les classes moyennes ont quitté les banlieues, et les mairies, via les offices HLM, ont cessé de promouvoir la mixité sociale pour regrouper dans ces quartiers des gens qui cumulaient tous les handicaps sociaux : des immigrés, des gens frappés de plein fouet par la crise… Résultat : on se retrouve aujourd’hui face à des immigrés de deuxième ou de troisième génération totalement paumés dans leur identité, victimes du chômage, de discriminations, de violences… Les associations républicaines ont perdu du terrain, parce qu’on ne les a pas aidées et parce que les maires, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont souvent cédé à la tentation de la “politique du grand frère“, en s’appuyant sur des jeunes qui eux-mêmes tenaient le mur et trempaient souvent dans des trafics parallèles. Les maires se sont également tournés vers les associations culturelles plutôt que vers les associations républicaines. Cette ghettoïsation a fini par remettre en question l’identité et les valeurs de ces jeunes, confrontés à l’appauvrissement de leur environnement et au recul progressif des services publics dans ces quartiers. C’est ainsi qu’on débouche sur la formation de véritables ghettos et sur la culture qui va avec : la culture de la cité, dont les standards, pour des garçons en perte de repères, victimes du chômage et des discriminations, sont le machisme, la virilité, le sexisme. Les filles sont placées sous contrôle. Au bout de la chaîne, on trouve l’homosexuel, dont l’image va à l’encontre de ces stéréotypes de virilité, qui est donc considéré comme faible et qui doit être puni pour sa faiblesse.

À la fin de votre ouvrage, vous critiquez ceux que vous appelez “les homos des centres-villes“, que vous accusez de se désintéresser de leurs camarades de l’autre côté du périphérique… vous pensez que les associations gays n’en font pas assez pour traiter ce problème ?
J’ai le sentiment que les associations gays n’ont rien fait sur ces questions… Cela dit, je ne leur jette pas forcément la pierre, car, à mon sens, personne ne fait rien. Depuis une trentaine d’années, la progression des droits des gays s’est faite à deux vitesses. D’un côté, d’énormes acquis : la dépénalisation de l’homosexualité en 1982, le PACS en 1999, le débat actuel (contradictoire mais démocratique et serein) autour du mariage homosexuel et de l’homoparentalité… Dans les centres-villes, certains établissements gays ont pignons sur rue, le drapeau arc-en-ciel peut s’afficher librement… Là, les gays ont gagné en visibilité et sont acceptés ; ils sont prescripteurs de tendances, que ce soit en termes de fringues ou à la télé… D’un côté, donc, des progrès incontestables. Mais à côté de cela, sur la même question, à cinq minutes des centres-villes, cette modernité n’a pas pénétré les cités. Le décalage est tout à fait frappant. Entre ces deux univers, entre la communauté gay, aujourd’hui plutôt bien installée et reconnue, et les gamins des cités, il n’existe aucune action transversale. Les homos des banlieues sont pourtant aujourd’hui victimes d’une double peine : rejetés dans la cité en tant qu’homosexuels, et confrontés à une autre forme de discrimination dans les centres-villes, d’une part parce qu’ils suscitent chez beaucoup de la peur et de la méfiance et d’autre part parce qu’ils n’ont pas les moyens d’aller consommer dans les bars du Marais… Pour ce qui est des associations, je ne cherche pas à les accabler mais simplement à les avertir des risques de cette accélération “à deux vitesses“ des droits des homosexuels. Il faut évidemment mener des campagnes contre l’interdiction de la Gay Pride à Belgrade, contre l’homophobie en Irak, en Égypte, en Iran, ou en Israël, mais sans perdre de vue que des gens risquent leur vie également à quelques kilomètres de chez nous. Il faut tous nous y mettre, et j’espère que mon livre et celui de Brahim Naït-Balk permettront une prise de conscience de ce problème. J’ai d’ailleurs été invité au Centre Gay et Lesbien de Paris la semaine dernière, et beaucoup d’associations gays de province m’ont également contacté. En revanche, je suis frappé par le silence des hommes politiques sur cette question. Le seul qui m’ait semblé prendre la mesure du problème, c’est le député-maire d’Évry, Manuel Valls. L’Éducation nationale ne se sent pas concernée, alors que c’est à elle de se bouger, de faire des campagnes contre l’homophobie dans les collèges et les lycées. Il est là, le cœur de l’action à mener.

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