Homos et parents à la fois

À l’heure ou l’on reparle du droit à l’adoption par les couples homosexuels, tour d’horizon de l’homoparentalité, aujourd’hui, en France.

La récente décision du tribunal administratif de Besançon ordonnant au Conseil général du Jura d’accorder un agrément d’adoption à Emmanuelle B. a remis la question du droit à l’adoption des couples homosexuels à l’ordre du jour. Pour rappel, Emmanuelle B. avait demandé l’agrément sans avoir jamais caché aux services sociaux qu’elle vivait en couple avec une autre femme. L’homoparentalité n’est pas seulement une revendication ou un slogan mais d’ores et déjà une réalité pour plusieurs dizaines de milliers d’enfants. Pour l’Institut national d’Études Démographiques (INED), ils seraient quarante mille ; l’Association des Parents Gays et Lesbiens (APGL), de son côté, avance un nombre cinq fois supérieur : deux cent mille. Des écarts qui s’expliquent sans doute par le fait que l’INED ne recense que les enfants élevés par un couple de même sexe, alors que l’AGPL prend également en compte tous ceux dont au moins un des parents assume et vit son homosexualité (sans exclure donc les familles monoparentales).

Plusieurs cas de figure

Le débat actuel réduit souvent la question de l’homoparentalité à celle de l’adoption, alors que celle-ci ne concerne qu’une minorité des familles homoparentales. Plusieurs cas de figure existent déjà en effet. Il y a tout d’abord les parents qui ont autrefois formé un couple hétérosexuel et ont eu un enfant qu’ils élèvent désormais seuls ou au sein d’un couple homosexuel. Il est également possible que l’un des eux partenaires d’un couple homosexuel ait adopté en son nom propre (et non pour son couple, ce que la législation française ne permet pas). Il lui a alors généralement fallu dissimuler sa véritable orientation sexuelle et se prétendre célibataire, car il est très rare que les agréments d’adoption soient délivrés à ceux qui refusent de se cacher. Autre possibilité, la coparentalité : un homme et une femme homosexuels peuvent décider de concevoir un enfant sans pour autant vivre en couple. C’est une solution souvent très complexe à mettre en œuvre, car elle suppose un engagement pour la vie et un accord préalable sur l’éducation que recevra l’enfant. Dernière alternative enfin : la procréation médicalement Assistée (PMA), vers laquelle se tourne la grande majorité des couples homosexuels désireux d’avoir un enfant, mais qui n’est possible pour l’heure qu’à l’étranger. Les couples de femmes peuvent bénéficier d’une insémination artificielle avec don de sperme (IAD), généralement en Belgique ou en Espagne, mais également au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas (pour un coût sensiblement plus élevé). Quant aux couples d’hommes, ils peuvent recourir à la gestation pour autrui (GPA), légale aux États-Unis, au Canada, en Russie et en Inde. Mais qu’il s’agisse d’adoption ou de PMA, le coût des démarches à accomplir à l’étranger est extrêmement élevé : autour de cinquante mille euros en moyenne. Et ce n’est sans doute pas prêt de changer, puisqu’il semble peu probable que l’IAD ou la GPA soit ouvertes aux couples homosexuels à la faveur de la prochaine révision de la loi de bioéthique qui doit avoir lieu au printemps. Mais bien que la législation française sur la PMA demeure l’une des plus restrictives d’Europe, il est indéniable que quelque chose a changé dans la mentalité même des gays et des lesbiennes. Car selon Béatrice Youmbi, présidente de l’antenne Rhône-Alpes Auvergne de l’APGL, «pour la génération qui nous précède, être homosexuel signifiait qu’avoir un enfant était impossible. À l’inverse, les jeunes homos d’aujourd’hui savent que leurs désirs d’être un jour parents ne sont plus totalement irréalistes».

Rencontre

Au Voxx, en train de boire un café, Adrien ressemble à tous ses voisins. Rendez-vous lui a été donné pour qu’il nous raconte ses vingt premières années. Le discret jeune homme, étudiant ingénieur, a sans doute été dans les années 90 l’un des premiers enfants en France à avoir grandi au sein d’une famille homoparentale. Et alors que les opposants au droit à l’adoption pour les couples de même sexe prédisent les pires maux aux enfants non élevés dans une cellule familiale “classique“ (un père, une mère), son expérience à lui vient plutôt contredire les prophéties des Cassandres qui disent défendre “les valeurs familiales“. En fait, son enfance et son adolescence ont ressemblé quasiment trait pour trait à celle d’un enfant ayant grandi auprès d’une mère et d’un père, et le garçon s’est parfaitement fondu dans sa génération. Il a reçu la même éducation et a fait sa crise d’adolescence en même temps que ses camarades nés à la fin des années 80, ni plus ni moins grave qu’une autre. Il n’a jamais eu à subir la moindre discrimination ni la moindre moquerie tout au long de sa scolarité ; ses camarades de classe semblent avoir accepté que sa situation familiale diffère un peu de la leur (et même que, circonstance beaucoup plus grave, l’une de ses deux mères soit le proviseur de son collège !).

Modèles

Il reconnaît avoir parfois souffert de l’absence de modèle masculin, en particulier au collège, et avoir recherché ce modèle dans la fiction, essentiellement dans la littérature et le cinéma. Et comme il était évidemment amené à côtoyer des hommes parmi ses professeurs, ses moniteurs de colos, les pères de ses camarades ou les amis de ses deux mères, il a parfois tenté de rechercher auprès d’eux un père de substitution. Son unique rencontre avec son père biologique fut brève et assez décevante ; celui-ci ne se sentait lié d’aucune manière à Adrien et tous les deux n’avaient finalement que peu de choses à se dire. Il faut dire qu’il n’y avait pas vraiment de place pour un père dans le projet de la mère biologique d’Adrien, dont le désir, dès l’origine, était d’avoir un enfant et de l’élever avec la femme qu’elle aime, de vingt ans son aînée. Aujourd’hui, Adrien verrait même un certain avantage à l’absence de modèle masculin : elle lui a en effet permis, de son propre aveu, de construire lui-même sa propre masculinité et sa propre identité. Et quand on lui demande son sentiment sur cette enfance particulière, il répond qu’il n’éprouve «aucun regret» à avoir été élevé par un couple de femmes.

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