Tartufferie

Isabelle est en procédure d’adoption et son rêve d’élever un enfant semble plus proche de se réaliser que jamais.

Un enfant, voire plusieurs, cela fait des années qu’Isabelle en rêve. Mais Isabelle est lesbienne et vit avec une femme depuis six ans. Et parce que sa compagne, Nathalie, partage le même désir qu’elle, voilà des années qu’elle fait l’impossible pour un jour devenir mère. Ses premières démarches remontent à 2002. Cette année-là, avec l’aide de Jérôme, un ami homosexuel lui aussi désireux d’élever un enfant, elle tente de tomber enceinte grâce à la technique de recueil de sperme. Mais rapidement, leurs efforts conjugués s’avèrent vains. Dès l’année suivante, Jérôme et Isabelle, se faisant passer pour un couple, ont recours à la Fécondation in Vitro (FIV). À la troisième tentative, Isabelle tombe enceinte mais perd le bébé. L’hôpital recommande alors au couple de tenter sa chance en Espagne, où, selon les médecins, les taux de réussite de la FIV sont plus élevés qu’en France. Conseil qui semble dans un premier temps s’avérer judicieux, puisque après un bref aller-retour par-dessus les Pyrénées, Isabelle est à nouveau enceinte. Mais là encore, l’espoir est de courte durée ; au bout de trois mois, le foetus, selon sa propre expression, part «dans les toilettes». Arrivée à ce stade, Isabelle ne veut plus en passer par la procréation médicalement assistée : «trop lourd, trop aléatoire, trop décevant surtout». Mais malgré ces échecs répétés qui entraînent inévitablement des périodes d’abattement, elle ne se décourage pas et décide en 2008 de sauter le pas en épousant Jérôme dans le seul but de pouvoir adopter.

«Mensonges à tous les étages»

Jusque-là, le parcours d’Isabelle et Jérôme n’avait malheureusement rien d’exceptionnel ; leur histoire était plutôt le chemin de croix ordinaire de tous les couples, homos ou hétéros, qui veulent avoir un enfant mais qui n’y parviennent pas. En franchissant cette nouvelle étape, une difficulté supplémentaire vient s’ajouter à leur démarche : désormais, il va leur falloir se cacher et mentir s’ils veulent avoir une chance d’obtenir l’agrément d’adoption qu’ils demandent. Commence alors la «grande comédie du couple hétéro parfait et heureux en ménage». Il leur faut d’abord subir un entretien individuel devant un psychologue, ce qui implique bien sûr une mise au point préliminaire. Isabelle et Jérôme ont donc dû s’inventer de toutes pièces une vie à deux afin de faire illusion devant les services sociaux. Ces «mensonges à tous les étages», comme les appelle Isabelle, se révèlent très vite épuisants et nécessitent beaucoup d’humour et de recul… sous peine de craquer et de s’effondrer. Le jour où les assistantes sociales viennent mener leur enquête à domicile, il faut faire partir Nathalie, la compagne d’Isabelle, et bien évidemment enlever son nom de la boîte aux lettres. Encore Isabelle n’a-t-elle pas eu droit, à l’inverse d’une de ses amies elle aussi en demande d’adoption, à cette remarque d’une assistante sociale lui confiant qu’elle «traquait l’homosexualité»… Pour les véritables conjoints respectifs d’Isabelle et Jérôme, c’est évidemment une situation pénible à gérer et potentiellement génératrice de tensions dans le couple : pas facile en effet de devoir se cacher, quitter son propre appartement, et voir un(e) autre épouser l’homme ou la femme que l’on aime, surtout quand on est soi-même privé de ce droit… et même si l’on sait bien qu’au fond, tout cela n’est qu’une vaste tartufferie, la pilule n’en est pas moins amère.

De l’Espagne à la Lettonie

Cette pénible comédie aura au moins porté ses fruits, puisque le verdict des assistantes sociales a été plus que favorable : dans leur rapport, Isabelle et Jérôme sont dépeints comme un ménage idéal et en neuf mois (contre douze ou dix-huit en moyenne !), notre couple bien sous tous rapports mais complètement factice obtient son précieux sésame : l’agrément d’adoption pour deux enfants. Isabelle et Jérôme ne sont pourtant pas encore au bout de leurs peines : en raison de leur âge (respectivement 43 et 44 ans), les associations ne leur apportent aucune aide et ils doivent donc se débrouiller seuls pour contacter cabinets d’avocats et orphelinats… en Lettonie. Ils sont désormais dans l’attente d’un mail de leur avocat letton les informant qu’il a trouvé deux orphelins susceptibles d’être adoptés. Dès qu’ils auront ramenés les deux enfants en France, Isabelle et Jérôme divorceront et se pacseront chacun avec leur véritable conjoint respectif, afin qu’en cas de décès d’un des deux parents adoptifs, les enfants ne soient pas séparés de l’homme ou de la femme qui les aura élevés. Isabelle et Nathalie d’un côté, Jérôme et son compagnon Luc de l’autre, élèveront ces enfants ensemble dans deux foyers différents, un peu à la manière des enfants de couples divorcés.

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