L’objet du scandale

C’est un film d’animation pas encore sorti, ni même encore achevé, mais qui aura au moins réussi à faire couler beaucoup d’encre : Le Baiser de la Lune, conçu par un réalisateur rennais du nom de Sébastien Watel, s’est donné pour mission de parler aux élèves des classes de CM1 et CM2 des relations amoureuses d’une façon un peu différente de celle des dessins animés de Walt Disney. Ici, pas d’idéalisme désincarné et stéréotypé, mais des amours plutôt «hors-normes» : celui de la lune pour le soleil, et celui de deux petits poissons mâles. Ce court-métrage éducatif, en raison même du public visé (les enfants de dix et onze ans) n’aborde pas des thématiques liées à la sexualité mais se cantonne chastement au domaine des relations amoureuses telles que les connaissent les enfants de cet âge, avec pour seule différence que ses protagonistes principaux sont du même sexe. Pourtant, il n’en a pas fallu plus au site de l’hebdomadaire Les 4 vérités, qui dit vouloir présenter «l’actualité française vue de droite libérale», pour y voir une véritable «incitation à l’homosexualité» : celui-ci lance donc à la mi-décembre dernier une pétition pour dire «stop à la stupidité, stop à la provocation, stop à l’immoralité» et surtout stop aux partenariats officiels publics de ce dessin animé avec des institutions politiques telles que le Conseil régional de Bretagne, le Conseil général des Côtes d’Armor, la Ville de Rennes… Sans grand succès dans un premier temps, puisque toutes ces collectivités locales réitèrent leur soutien au projet. Rebelote six semaines plus tard, avec cette fois-ci une lettre ouverte au ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel signée Christine Boutin, ex-ministre de Nicolas Sarkozy et présidente d’un petit parti associé à l’UMP, le Parti Chrétien-Démocrate. Cette fois-ci, l’initiative des opposants à ce projet semble faire mouche, puisque le ministre suit l’avis de son ancienne collègue et estime le 3 février sur RMC : «Je dis oui à la lutte contre l’homophobie, oui à la lutte contre les discriminations, oui à la sensibilisation de nos lycéens et de nos collégiens, mais traiter ces sujets en primaire, ça me semble prématuré /…/ Ce film n’a pas vocation à être projeté en primaire». Aussitôt les associations telles que SOS Homophobie ou l’Inter-LGBT, mais également des syndicats enseignants (FSU, Unsa Éducation…) ou la Fédération des Conseils de Parents d’Élèves (FCPE) protestent contre cette déclaration et obtiennent du ministre qu’il s’engage à ne pas sanctionner les professeurs qui utiliseront ce film dans leurs classes. Le Baiser de la Lune devrait être achevé au printemps et on peut déjà parier qu’avec cette polémique, ses détracteurs lui auront involontairement offert la meilleure des campagnes de promotion.

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