Homos sans frontières

Le mot d’ordre de la Marche des Fiertés lyonnaise 2010, «Droit au Séjour, droit d’asile : ne transigeons pas ! Protégeons les Lesbiennes, Gays, Bi et Trans !» met l’accent sur les droits des LGBT étrangers.

C’était pourtant une belle promesse, faite par Nicolas Sarkozy au soir de son élection à la présidence de la République, le 6 mai 2007 : «je veux lancer un appel […] à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures […] pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu’ils peuvent compter sur elle». Les promesses n’engageant que ceux qui y croient, depuis, les expulsions d’étrangers vivant en France de façon illégale n’ont jamais cessé, y compris vers des pays peu regardants sur les droits de l’Homme. La situation est plus dramatique encore pour les homosexuels des deux sexes ou les transgenres renvoyés dans des pays où, non seulement leurs droits civiques les plus basiques ne seront pas assurés, mais où ils risquent également des discriminations, voire des persécutions graves en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Et ce risque est parfois délibérément sous-évalué par les autorités : pour s’en convaincre, il suffit de lire la “liste des pays d’origine sûrs“ établie par l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) en 2005 et régulièrement mise à jour depuis. Celle-ci compte à ce jour dix-sept pays qui «veille[nt] au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que des droits de l’Homme et des libertés fondamentales». Concrètement, les ressortissants des pays inscrits sur cette liste n’ont plus aucune chance de voir leurs demandes de régularisation aboutir, puisque l’OFPRA estime qu’ils ne risquent aucune persécution dans leur pays d’origine. Or, à y regarder de plus près, il se pourrait que cette expertise pèche par excès d’optimisme : au Ghana, au Sénégal, en Tanzanie ou à l’Île Maurice, par exemple, l’homosexualité fait l’objet d’une interdiction explicite, tandis qu’au Mali elle est encore réprimée à travers des lois de «moralité publique».

Des droits élargis pour les pacsés

Menacés d’expulsion vers des pays où leur vie sentimentale et sexuelle serait brimée, les immigrés LGBT en situation irrégulière peuvent compter sur le soutien des associations, et notamment, à Lyon, de la Lesbian & Gay Pride (LGP). Depuis 2006, celle-ci a apporté son soutien à plus d’une dizaine d’entre eux, souvent en faisant valoir auprès des tribunaux leur situation conjugale. En effet, depuis une circulaire du 30 octobre 2004, un étranger peut obtenir un titre de séjour “vie privée et familiale“ s’il est pacsé avec un(e) Français(e) (ou un ressortissant de la communauté européenne) et peut justifier d’un an de vie commune sur le territoire français. C’est ainsi que le Brésilien Robson et le Marocain Taoufik, tous deux pacsés avec un Français, ont pu, grâce en partie au soutien de la LGP, faire valoir leurs droits et obtenir un titre de séjour. Mais de telles procédures, qui nécessitent l’interpellation des autorités, des media et parfois un recours devant les tribunaux, sont lourdes à mettre en place et ne sont pas toujours couronnées de succès ; surtout, elles ne peuvent s’appliquer qu’aux homosexuels étrangers pacsés avec un(e) Français(e). Pour les célibataires, ou ceux qui vivent en couple sans être pacsés, les chances d’une régularisation sont encore plus minces… À l’heure où la plupart des gouvernements européens, confrontés à la crise économique, au chômage et à la montée des populismes xénophobes, tendent à durcir leurs politiques d’immigration, il y a fort à craindre que les étrangers LGBT, minorité au sein de la minorité, doivent attendre encore longtemps la prise en compte de la singularité de leur situation.

«Un moratoire sur les expulsions»

Entretien avec David Souvestre, président de la Lesbian & Gay Pride de Lyon.

Pourquoi avoir choisi cette année de mettre l’accent sur une minorité au sein de la minorité, au détriment peut-être d’un mot d’ordre plus fédérateur ? 
Au lendemain de la présidentielle de 2007, la Lesbian & Gay Pride de Lyon a décidé que les mots d’ordre des Marches des Fiertés de 2008 à 2011 devraient sonner comme des rappels des promesses faites par Nicolas Sarkozy durant la campagne, tout en faisant valoir l’action des différentes associations LGBT lyonnaises tout au long de l’année : nous sommes de plus en plus sollicités par les demandeurs d’asile et la situation devient telle qu’il devenait urgent d’interpeller l’opinion publique. C’est l’occasion de rappeler que nous ne sommes pas là que pour organiser la Marche des Fiertés. Par ailleurs, même si le mot d’ordre «Droit au séjour, droit d’asile : ne transigeons pas !» peut paraître à première vue très ciblé, il permet également d’englober la revendication de l’ouverture du droit au mariage aux couples homosexuels. Il existe en effet actuellement un différentiel entre le mariage et le pacs qui est préjudiciable aux LGBT étrangers. En effet, le mariage donne droit à un titre de séjour automatique pour le conjoint étranger, ce qui n’est pas le cas du pacs : le conjoint étranger doit alors pouvoir justifier d’un an de vie commune sur le territoire français, et la délivrance d’un titre de séjour n’est régie que par une circulaire ministérielle, qui n’a pas valeur de loi. Il a ainsi fallu plusieurs fois que nous interpellions le ministère de l’Intérieur pour qu’il désavoue ses propres préfectures.

Quelles sont les possibilités de régularisation pour les LGBT étrangers célibataires ou concubins ? 
Leur situation est plus compliquée encore. Ils peuvent faire une demande d’asile auprès de l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA), mais ils doivent alors faire la preuve à la fois des persécutions qu’ils ont subies dans leur pays d’origine – ce qui est très souvent très difficile – et de leur homosexualité – et cela, j’aimerais bien qu’on m’explique comment c’est possible…

Au-delà du soutien au cas par cas aux personnes menacées d’expulsion, quels changements espérez-vous dans la politique d’immigration ? 
Nous demandons un moratoire sur les expulsions des demandeurs d’asile, notamment les LGBT menacés d’un renvoi vers des pays où l’homosexualité est encore pénalisée. Nous réclamons également la suppression de la “liste des pays d’origine sûrs“ établie par l’OFPRA, ainsi qu’une réforme de cet organisme, dont les exigences sont parfois impossibles à satisfaire. Enfin, nous demandons l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, qui permettrait aux conjoints étrangers de se voir délivrer un titre de séjour automatiquement.

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