Sous les étoiles exactement

Suite à la fermeture l’été dernier du CNP Odéon, qui accueillait traditionnellement la Nuit du Cinéma Lesbien, Gay, Bi et Trans, les organisateurs ont déplacé l’événement en plein air : il se tiendra cette année au cœur de l’amphithéâtre romain des Trois Gaules. Seront projetés notamment le court-métrage Les Promesses de l’aube, du jeune réalisateur Frédéric Chane-Son ainsi que deux comédies, Boystown et A Dirty Shame. Critiques.

 

Boystown

Un vieux quartier madrilène est en voie (accélérée) de se transformer en pur quartier gay. Et la disparition rapide de vieilles dames victimes d’un serial killer libère les uns après les autres des appartements qui, une fois transformés en lofts, feront le bonheur de couples homos. Mais voilà, une mamie résiste. Et il se trouve que c’est la mère de Rey, le héros (avec Leo, son amant) de cette drôle d’histoire… Voilà planté le décor de cette comédie ibère vaguement policière (ben oui, il y a une drôle de fliquette qui enquête), gentiment romantique (notre couple va-t-il résister aux tentations et aux tentateurs ?) et surtout sans préjugés, peuplée de garçons sexy et de folles à paillettes, de bears décomplexés et de coincés perturbés, qui s’amuse des clichés homos au moins autant que des stéréotypes homophobes. Dans la lignée de Reinas ou Cachorro, Boystown fait partie de cette production espagnole typiquement gay qui a retenu les leçons d’Almodovar : pas tant celles liées à la mise en scène (nulle trace chez Juan Flahn du brio formel et du génie narratif de l’ami Pedro) que celles tenant à la totale liberté de ton et de genres. Rien n’est tabou dans ce cinéma-là, ni la sexualité gay (ah oui, ils baisent les garçons !) ni la critique sociale (haro sur les méchants promoteurs avides et sans scrupules). Ni la coexistence pacifique de tous les modes de vie et de toutes les identités ni le regard décapant sur certains travers du gay way of life, goût exacerbé de l’apparence, de la mode et du sport en tête. Bref, c’est assez réjouissant même si on aurait pu espérer plus de mordant parfois, plus d’impertinence, plus de cette folie baroque qu’Almodovar (toujours lui) apporte dans tous ses films. Ici, malgré les crimes, malgré la drague éhontée entre les mecs, malgré les personnages barrés (formidable Rosa Maria Sarda en enquêteuse surprotégeant son fils), malgré les couleurs flashy… le monde gay apparaît bien sage.

A Dirty Shame

Par contrecoup avec Boystown, voilà un cinéma qui ne s’assagit pas avec l’âge. Et c’est tant mieux. Avec A Dirty Shame (2004), John Waters confirmait son statut de maître du cinéma camp le plus impertinent et le plus sexuellement incorrect. Et ça fait quarante ans que ça dure, depuis qu’on a découvert son univers au mauvais goût assumé à coups de Pink Flamingos (1972), Female Trouble (1974), Polyester (1981) ou Serial Mother (1994). Alors bien sûr, cette sympathique fable comique sur la dépendance sexuelle n’atteint que rarement les sommets outranciers des chefs-d’œuvre seventies que Waters concoctait avec délices pour l’incroyable Divine (capable de tout, même de manger une crotte de caniche pour conclure un de leurs films communs). Il n’empêche que son cinéma drôle et provocateur a de beaux restes et que sa vision cruelle et transgressive du monde tel qu’il va n’a rien perdu de son acuité. Et ce qui est formidable dans cette filmographie à nulle autre pareille, c’est qu’il s’agit sans nul doute d’une des œuvres les plus pédé qui soient alors même que l’homosexualité en tant que telle n’en est jamais le sujet, qu’elle est même quasi-absente de l’essentiel de ces films. Ici, c’est bien le regard qui est fondamentalement queer, c’est la manière d’envisager le monde d’un point de vue gay (au sens très large du terme) qui donne sa couleur à l’ensemble. De ce point de vue, A Dirty Shame avec son histoire de famille idéale (un grand classique chez Waters) corrompue, pervertie, contaminée – ou plutôt libérée… – par l’hyper-foisonnement pansexuel si cher au réalisateur, ne dépare en rien de l’ensemble. Arbres-phallus, dialogues ultra-crus, désirs désordonnés et polymorphes, poitrines disproportionnées, fantasmagories animées… Rien ne manque dans cette apologie d’une sexualité libre et sans entraves qui renvoie là où elles le méritent (en enfer !) les vieilles lunes de la pudibonderie religieuse… Le sexe est grand, Waters est son prophète.

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