«Musique de pédés»

101031_StphaneSC1Les concerts organisés par l’association “S’étant chaussée, (…)“ ont toujours tenu une place d’exception dans le paysage underground lyonnais. Stéphane, membre fondateur de l’association, revient sur quinze années de programmation et de combats, souvent mal compris.

“S’étant chaussée, (…)“ est né en 1995. Quel a été le point de départ de ce projet ?
À l’origine, c’était une envie d’organiser des concerts avec une spécificité : faire jouer des groupes avec des artistes femmes, parce que je constatais que ces groupes, que j’aimais, ne tournaient pas à Lyon. Je me suis demandé pourquoi. Et comme on ne trouve pas de bonnes raisons, on se concentre sur les mauvaises : soit les gens n’aimaient pas ce genre de musique, soit le problème venait des groupes eux-mêmes. Ces formations avaient des revendications politiques, féministes ou queer. Et j’avais l’impression que cela dérangeait. Très rapidement, je me suis fait “mal voir“ en faisant jouer ces groupes-là.

Comment cela se traduisait-il ? 
Par de l’incompréhension. J’essayais de faire jouer des groupes qui étaient en majorité composés de femmes. C’était mal perçu. Du fait d’abord que je sois un garçon. Et puis aussi parce qu’il y avait beaucoup de caricatures. Il est arrivé que certaines personnes n’aillent pas à un concert que l’association organisait parce qu’elles croyaient que c’était des filles qui accueillaient des mecs avec des battes de baseball ! Il y avait à l’époque un très fort relent sexiste, une caricature du féminisme.

Ces réactions vous ont-elles poussé à continuer ? 
Oui, je me disais que mon action avait un sens. Le féminisme était un peu en berne dans le milieu des années 90 à Lyon. Un jour, j’étais invité à une émission radio, je présentais un concert en mettant en avant la spécificité queer du groupe. Le technicien de l’émission, pendant la diffusion des morceaux, disait que c’était de la «musique de pédés». On pouvait écouter la musique de ces groupes-là, mais pas mettre en avant leurs revendications.

Les mentalités ont-elles évolué ? 
J’ai l’impression que, depuis quelques années, il y a plus de groupes avec des femmes qui se produisent sur scène. Et je ne suis pas seul à les faire jouer à Lyon. La différence, c’est qu’auparavant, dès qu’un groupe avec des femmes tournait, on m’envoyait directement l’information, comme si c’était à moi de les faire venir à Lyon. Aujourd’hui, on me prévient moins systématiquement. Ce n’est plus que pour moi, c’est pour tout le monde !

“S’étant chaussée, (…)“ a toujours donné dans l’indé… 
Oui, car les groupes qui nous intéressent sont sur des labels indépendants, à contre-courant de la culture mainstream. La programmation repose sur une volonté de faire jouer ces groupes, de rester indépendant, de faire ce que l’on veut en fonction de nos idées, de nos revendications et de nos goûts, sans dépendre ni d’une salle, ni d’une subvention. C’est une liberté qui est très belle en soi mais pas facile au jour le jour, car ce n’est pas évident d’intéresser le public à ces musiques-là. Il y a plein de gens à qui ces groupes ne parlent pas et notre mission est aussi de leur donner l’envie d’aller voir ces formations sur scène. C’est autre chose que les grands concerts, dans des grandes salles avec des places à vingt-cinq euros et des artistes inaccessibles.

“S’étant chaussée, (…)“ est concernée par la question de l’affichage libre à Lyon. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? 
Gérard Collomb a décidé de nettoyer la ville, puisque visiblement, nos affiches gênent. Alors que les panneaux publicitaires Decaux ont fleuri partout avec l’arrivée des Velo’v. Mais ça, apparemment, ce n’est pas de la pollution visuelle. Et c’est marrant de taxer de pollution ces affiches de collectifs qui organisent des concerts, qui dynamisent la ville. Je ne comprends pas cette volonté politique bizarre de faire une ville “propre“, alors qu’une ville, c’est sale ! Les voitures, les déjections de pigeons…

Quelles sont les perspectives d’évolution pour l’association ? 
J’aimerais peut-être passer à autre chose. Notre action me semble moins pertinente qu’avant. D’autres salles font maintenant la même chose et programment ces groupes-là. À l’époque, il fallait les faire jouer car personne ne le faisait. Le but de cette association était donc de disparaître, même si on se fait encore plaisir aujourd’hui en programmant. L’association, comme elle a été créée au début, a moins de sens. Pourquoi ne pas mettre cette énergie dans autre chose ? J’aimerais créer un label…

http://setantchaussee.free.fr

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