«Retour en arrière»

Jérôme Martin est membre du conseil d’administration d’Act Up-Paris, association de lutte contre le sida qui s’oppose à la pénalisation et à la criminalisation de la transmission du VIH.

La criminalisation de la transmission du VIH est-elle une évolution récente du droit ?
En France, c’est un phénomène qui est apparu à partir de 2004, avec la condamnation d’un homme séropositif de trente et un ans pour «administration volontaire d’une substance nuisible ayant entraîné une infirmité permanente» à deux de ses anciennes partenaires. Il y avait déjà eu des plaintes auparavant, mais elles n’avaient jusqu’alors jamais abouti. L’inflation de plaintes est donc relativement récente.

Comment faut-il alors comprendre selon vous ce phénomène «relativement récent» ?
Précisons tout d’abord que notre rôle n’est pas tant de nous interroger sur les motivations des personnes qui portent plainte que sur l’impact de ces verdicts. Pour nous, cela témoigne avant tout de la détresse des personnes qui découvrent leur séropositivité. C’est quand même la seule maladie pour laquelle on aurait besoin de trouver un coupable ! C’est le signe d’un énorme manque dans les discours publics et politiques sur ces questions-là. Et c’est également un terrible retour en arrière en termes de responsabilité partagée.

En 2008, lors d’un procès de ce type au tribunal correctionnel de Marseille, le procureur avait traité l’accusé de «salaud». Qu’en pensez-vous ?
Personne ne semble s’interroger sur les raisons qui poussent un séropositif à taire sa maladie à ses partenaires. Un sondage mené il y a quelques années avait pourtant montré que la première forme d’exclusion que rencontre un malade lorsqu’il annonce son statut sérologique, c’est de se faire éconduire. Et lors de ces procès, on a encore une fois l’impression que les séropositifs sont exclus de la société. Avant de pointer du doigt la responsabilité pénale des individus, demandons-nous où est la responsabilité morale de la société. Où est-elle lorsqu’il s’agit de lutter contre les discriminations que rencontrent les malades et qui les amènent à cacher leur maladie ? Plutôt que de dire : «ce type est un salaud», qu’a fait le procureur pour permettre à cet accusé de dire, sans sentiment de honte, qu’il vit avec le VIH ? Rien.

Mais n’y a-t-il tout de même pas dans ce genre de cas une forme d’irresponsabilité grave qu’il faut pénaliser ? 
Qu’il y ait irresponsabilité dans le fait d’avoir des relations sexuelles non-protégées lorsqu’on se sait séropositif, personne ne le conteste. Mais la question qui nous importe est la suivante : quel est le meilleur moyen de modifier les comportements et de responsabiliser les gens ? Est-ce d’agiter la peur de la responsabilité pénale et de l’emprisonnement ? Chaque situation est bien sûr différente, mais dans un certain nombre d’entre elles, on peut se demander ce qui a poussé les personnes plaignantes à renoncer au préservatif. Il y a certes quelques cas de mensonges flagrants, mais ils sont quand même relativement rares. Et pour nous, il ne s’agit évidemment pas de dire que les accusés ne sont pas responsables, mais que la responsabilité est partagée entre les partenaires.

Quelles peuvent être les conséquences de cette judiciarisation sur la lutte contre la pandémie ? 
Alors que depuis des années toute la politique de prévention, en France comme en Europe, repose sur le principe de responsabilité pleinement partagée (chacun des partenaires est responsable pour les deux en même temps), la justice nous dit aujourd’hui que lorsqu’on est séropositif, on a plus de responsabilité dans le fait de mettre une capote. Et, une fois de plus, c’est peut-être vrai moralement, mais le sens de cette décision d’un point de vue juridique est le suivant : ce qui est ici condamné, ce n’est pas la transmission du VIH (puisque les accusés auraient très vraisemblablement échappé aux poursuites s’ils avaient ignoré leur statut sérologique), mais la connaissance de sa maladie. Autrement dit, le message de la justice est très clair : «n’allez pas vous faire dépister !».

Comprenez-vous le point de vue des personnes qui portent plainte contre celui ou celle qui les a contaminées ? 
Notre position n’est évidemment pas de les critiquer. Chacun a droit à recourir à la justice. Mais il est certain pour nous qu’avec cette démarche, elles s’exposent elles-mêmes à devenir de futurs coupables.

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