«Un bilan mitigé»

Hussein Bourgi est président du Collectif Contre l’Homophobie, basé à Montpellier.

Quel bilan tirez-vous, six ans après, de la loi du 30 décembre 2004, qui pénalise les insultes homophobes ? 
Un bilan mitigé. La loi existe et c’est une très bonne chose. C’était l’une des revendications portées par le mouvement LGBT, à l’époque où la France était l’un des rares pays d’Europe à ne pas s’être doté d’une législation réprimant l’homophobie, que ce soit dans les actes ou les propos. Mais depuis que cette loi a été votée, on a beaucoup de difficultés à la faire appliquer par les magistrats. Certains d’entre eux ne la connaissent pas, même si cela peut surprendre puisque «nul n’est censé ignorer la loi» : d’une part parce que le Parlement vote beaucoup de lois – la France est l’un des pays qui légifèrent le plus –, d’autre part parce que les magistrats sont surchargés de travail et qu’ils n’ont donc pas le temps de bénéficier de la formation continue qui leur permettrait de mettre à jour leurs connaissances. Ensuite, ils ont parfois plus de mal à qualifier les propos homophobes que les propos racistes ou antisémites. Ces derniers sont proscrits par la loi depuis beaucoup plus longtemps, la jurisprudence est donc plus ancienne. Enfin, les policiers chargés de recueillir les plaintes après une agression ne retiennent souvent que la violence physique, qu’ils jugent plus grave, et éludent les insultes, écartant du même coup la circonstance aggravante d’homophobie.

Comment expliquez-vous que plusieurs figures intellectuelles importantes du mouvement LGBT se soient opposées à la pénalisation des insultes homophobes, alors que sur le terrain les associations s’en félicitent ? 
C’est une preuve flagrante de la distorsion entre l’élite intellectuelle et les gens en prise avec la réalité du quotidien. Déjà, au moment des débats sur le PACS, il n’était pas rare d’entendre des artistes ou des personnalités (souvent très aisées et ayant pignon sur rue) nous expliquer que, bien qu’étant eux-mêmes homosexuels ou sympathisants de la cause, ils n’y étaient pas favorables. À leurs yeux, il s’agissait d’une marque d’embourgeoisement ; l’homosexualité ne pouvait être que transgressive et ne devait pas chercher à se fondre dans le modèle hétérosexuel. La plupart du temps, ce sont les homosexuels les plus favorisés socialement qui ont le plus facilement accès aux media et qui sont interrogés en priorité sur ces questions. Aujourd’hui, certains font preuve du même snobisme qu’il y a dix ans et sont capables, dans un même élan, de soutenir que la loi condamnant les propos racistes, antisémites ou négationnistes constitue un garde-fou nécessaire et que celle condamnant les propos homophobes doit être abrogée.

Beaucoup invoquent néanmoins la liberté d’expression et jugent la loi du 30 décembre 2004 «liberticide»…
Pour moi, la liberté d’expression s’arrête là où commence celle des autres. Les États-Unis ont fait le choix d’une liberté d’expression totale, mais la France s’est engagée dans une autre voie, et ce, dès les années 70, avec la loi Pleven. Dans les années 80, on a constaté que celle-ci ne pouvait pas s’appliquer aux propos négationnistes, et c’est pourquoi elle a été complétée en 1990 par la loi Gayssot. Pour ma part, je suis opposé à toute sacralisation, à toute approche dogmatique. Je pense que les lois doivent évoluer pour être au service des citoyens et qu’elles ne sont pas figées dans le marbre. La liberté d’expression a été proclamée dans notre pays dans un contexte particulier, celui de la Révolution française, qui mettait fin à des siècles d’absolutisme. Mais au fil du temps, on s’est aperçu que cette liberté d’expression pouvait conduire à des abus, et c’est pourquoi je considère qu’il est tout à fait normal qu’elle soit encadrée.

Mais précisément, ni la loi Pleven ni la loi Gayssot n’ont empêché les idées racistes, antisémites ou négationnistes de prospérer… La pénalisation de l’homophobie a-t-elle réellement un effet dissuasif, ou ne peut-elle agir qu’a posteriori ?
Une loi ne peut pas suffire à changer les mentalités. Néanmoins, je suis persuadé que s’il n’existait pas en France des lois contre le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie, ces fléaux seraient beaucoup plus importants. Leur effet dissuasif est donc bien réel, même s’il est difficile à mesurer, comme pour toute loi à visée dissuasive. C’est un peu comme pour le Code de la Route : celui-ci n’a jamais empêché les accidents de circulation, mais on peut penser qu’ils seraient beaucoup plus nombreux s’il n’existait pas.

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