Drôle de dame

Au commencement était Gigola, le roman. Écrit par Laure Charpentier en 1972, il retrace le parcours dans les années 60 d’une jeune «garçonne» qui s’affirme dans le milieu de la nuit parisienne en vendant ses charmes à la plus offrante et qui n’hésite pas à son tour à mettre sur le trottoir quelques-unes de ses «protégées». Dans la France post-gaullienne de Pompidou, le livre (en partie autobiographique) fut immédiatement censuré lors de sa sortie en raison de certains passages jugés trop érotiques. Près de quarante plus tard, lorsqu’il est question de l’adapter au cinéma, c’est le réalisateur allemand Volker Schlöndorff qui est d’abord pressenti, avec dans le rôle principal la chouchoute de ces dames, Asia Argento. Mais Charpentier, craignant apparemment que Schlöndorff ne vienne «plaquer ses fantasmes masculins» sur le film, décide de réaliser elle-même l’adaptation et remplace Argento par Lou Doillon. Reste qu’après avoir vu le film, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il aurait été si l’auteur du Tambour était demeuré derrière la caméra… Pour traiter d’un sujet qui se veut sulfureux, Laure Charpentier a en effet fait le choix contestable d’un académisme appuyé, reconstituant dans ses moindres détails un Pigalle pour touristes japonais dans les vieux quartiers lisboètes. Certes, il ne manque pas une voiture d’époque au tableau, mais cette forme-là est trop attendue et prévisible pour ne pas lasser. Et que dire de la bande-son originale, confiée aux mauvais soins de Jean-Jacques Debout (M. Chantal Goya à la ville, rappelons-le…) ? Pourtant, malgré ses défauts qui sautent aux yeux dès les premières minutes du film, il faut aller voir Gigola pour son évocation de l’univers aujourd’hui oublié de la nuit lesbienne parisienne d’avant la libération sexuelle. Les films sur les amours entre filles, il y en a aujourd’hui de plus en plus ; mais les films qui parlent véritablement du milieu gay et/ou lesbien sont trop rares (combien depuis Pédale Douce ?) pour qu’on fasse la fine bouche.