Gestation par altruisme

La gestation pour autrui, perçue par certains couples homosexuels comme une possibilité d’avoir un enfant, est critiquée par ceux qui craignent qu’elle ne rabaisse les femmes au rang de “ventres à louer”.

Le 2 février, le Parlement français entame les procédures de révision de la loi de bioéthique du 6 août 2004, qui encadre, autorise ou interdit certaines pratiques médicales et/ou scientifiques récentes : clonage embryonnaire, prélèvement d’organes… Parmi celles-ci, figure une méthode d’assistance médicale à la procréation qui fait débat : la gestation pour autrui (GPA). Cette pratique permet la plupart du temps à des femmes qui ne peuvent avoir d’enfant (généralement à cause de malformations utérines) d’avoir recours à des “mères porteuses“ (ou “femmes porteuses“) qui acceptent d’“accueillir“, jusqu’à l’accouchement, un embryon qui n’est pas le leur. Mais elle peut aussi être utilisée par des couples d’hommes désireux d’avoir un enfant. La GPA, légale notamment en Australie, au Canada, aux Pays-Bas et en Belgique, est interdite en France et il est peu probable qu’elle soit légalisée prochainement à la faveur de cette révision législative : les travaux des parlementaires s’appuieront en effet sur un rapport présenté il y a un an et pour lequel cette technique constitue «une forme d’aliénation et de marchandisation du corps humain». C’est là la grande crainte des opposants à cette méthode : qu’elle induise avant tout une «extension du domaine de l’exploitation», jusque dans le ventre des femmes. Le débat sociétal qui entoure cette question, loin de séparer nettement les “conservateurs“ des “progressistes“ ou la droite de la gauche, divise profondément jusque dans le camp des féministes, qui se sont récemment affrontées à coup de pétitions interposées.

Comment éviter des dérives ?

Si l’on voit bien l’avantage que présente la GPA pour les couples infertiles ou homosexuels, ses inconvénients n’en sont pas moins grands aux yeux de ses détracteurs. Le risque majeur est de voir des femmes pauvres “louer“ leur utérus à des familles plus aisées, non pas par désir de leur venir en aide, mais pour des raisons financières. Le corps ne serait plus alors ce bastion ultime de l’intimité mais un bien marchand comme un autre, totalement réifié et soumis aux lois du marché. Sous couvert d’une avancée progressiste en faveur des droits de l’individu, la légalisation de la GPA se traduirait in fine par une victoire supplémentaire de l’ordre capitaliste : pour ses opposants, cette mesure relèverait donc d’une logique qu’ils qualifient de «libérale-libertaire». Les partisans de la GPA estiment au contraire qu’un encadrement légal permettrait d’éviter les dérives et rappellent que dans la plupart des pays qui ont légalisé la GPA, celle-ci n’est autorisée qu’à titre gratuit (elle est alors dite “altruiste“) et ne peut donc faire l’objet d’une transaction financière (même si la “mère porteuse“ ou “femme porteuse“, également appelée “gestatrice”, peut être indemnisée pour tous les frais, notamment médicaux, liés à l’accouchement). À l’inverse, d’autres pays comme l’Inde ou l’Ukraine ont adopté des législations beaucoup plus laxistes (la GPA peut s’y accompagner d’un contrat commercial, avec échange d’argent à la clef), ce qui encourage une forme de “tourisme procréatif“ que chacun s’accorde à dénoncer. La légalisation de la GPA “altruiste“ constituerait en ce sens une sorte de juste milieu, alors que le bannissement de cette pratique reviendrait à fermer les yeux sur le phénomène et à laisser se développer l’exploitation du corps des femmes des pays pauvres. Pour faire de la GPA une véritable avancée médicale et non une pratique déshumanisante et régressive, plusieurs intellectuels, scientifiques et personnalités politiques ont ainsi signé le 13 décembre dernier dans les colonnes du quotidien Le Monde un manifeste appelant le gouvernement à instaurer «un cadre contre les dérives».

 

Bibliographie

Sylviane Agacinski, Corps en miettes, éditions Flammarion, 2009
Gilles Bon-Maury, Familles en miettes, éditions Bruno Leprince, 2010
Sylvie et Dominique Mennesson, La gestation pour autrui – L’improbable débat, éditions Michalon, 2010

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