«Les archives ne sont pas parlantes»

Philippe Léonard est depuis le début de l’année le délégué de l’association Les Oublié(e)s de la Mémoire pour le département de la Loire.

Quel est l’objet des Oublié(e)s de la Mémoire ?
Nous sommes une association, chargée de porter la mémoire des déportés pour homosexualité, qui mène un travail en direction à la fois des structures administratives et politiques et des associations de déportés pour la reconnaissance de la réalité de la déportation homosexuelle. Beaucoup d’associations de déportés refusent encore qu’une délégation homosexuelle participe aux commémorations. C’est un combat qui a duré plusieurs années jusqu’à ce moment historique qu’a représenté, en septembre dernier, la pose d’une plaque commémorative au camp de concentration de Natzweiler-Struthof, une cérémonie à laquelle notre association, notamment sa délégation stéphanoise, était largement représentée. Nous effectuons également au niveau national un travail de recherche et de collecte de témoignages auprès des derniers survivants (il y avait Pierre Seel jusqu’en 2005 et aujourd’hui il ne reste plus que Rudolf Brazda), car nous sommes encore très loin de tout savoir.

À combien estimez-vous le nombre de Français déportés pour homosexualité ? 
Honnêtement, on ne le sait pas, tout simplement parce que, dans la plupart des cas, ce motif n’était pas clairement établi dans le dossier des déportés, sans parler de tous ceux pour lesquels on n’a retrouvé aucun dossier. Dans le camp de Buchenwald, par exemple, on a retrouvé la trace de cinq prisonniers qui avaient été déportés au motif de leur homosexualité mais qui étaient enregistrés comme «déportés politiques». Dans celui de Natzweiler-Struthof, des recherches ont permis d’établir que, sur les 199 détenus homosexuels dont on connaît la nationalité, une très grande majorité (178) étaient allemands, mais quatorze d’entre eux étaient français. Évidemment, ces chiffres peuvent paraître “faibles“ au regard de ceux de la déportation politique (89 000 déportés français, NdlR) ou juive (76 000 déportés français, NdlR) ; c’est d’ailleurs pour cela que nous avons eu tant de mal à faire admettre cette réalité historique. Mais, encore une fois, les archives ne sont pas parlantes et il ne s’agit évidemment que de chiffres provisoires, étant donné l’état actuel des connaissances. On sait aussi que la police française a largement collaboré au processus de déportation. Pierre Seel, par exemple, qui faisait partie des quatorze détenus homosexuels français de Natzweiler-Struthof, a été arrêté parce que, en 1940, alors qu’il était âgé de dix-sept ans, il fréquentait un parc de drague à Mulhouse dans lequel il s’était fait voler sa montre. Naïvement, il a porté plainte au commissariat et un policier plein de zèle l’avait alors noté comme homosexuel. Après l’invasion allemande, ces fichiers de police ont été transmis à la Gestapo qui a pu s’en servir pour l’arrêter.

Mais les historiens ont été amenés à revoir sérieusement à la baisse les chiffres initialement présentés par les associations…
Lorsqu’il y a une omerta, lorsque les historiens, dont ce devrait pourtant être le métier, se refusent à admettre les faits et à les examiner de façon scientifique, il y a forcément au départ dans l’acte militant un grossissement des traits, une exagération. C’est humain et c’est pareil dans toutes les militances. Mais on sent tout de même une nette évolution vers la reconnaissance depuis quelques années, de la part aussi bien des historiens que des politiques, droite et gauche confondues.

Récemment, Les Oublié(e)s de la Mémoire se sont battus contre la venue à Saint-Étienne du groupe de rap Sexion d’Assaut. Quel lien faites-vous entre ce combat et celui en faveur de la mémoire ? 
Pour moi, le lien est évident parce que Sexion d’Assaut se réfère à la parole d’Adolf Hitler et parce que le groupe est très entendu par des jeunes qui n’ont pas cette connaissance historique.

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.