Nous sommes toutes des princesses de Clèves

C’est en substance le propos partagé par les protagonistes de l’émouvant documentaire de Régis Sauder, Nous, princesses de Clèves. Le réalisateur a organisé la rencontre entre une dizaine d’élèves d’un lycée de ZEP des quartiers nord de Marseille et le fameux roman de Madame de La Fayette. Les témoignages qu’elles (disons «elles», puisque les jeunes filles sont ici bien plus nombreuses) livrent sur leur propre vie entrent en résonance avec des passages du livre qu’elles interprètent. Plusieurs d’entre elles n’hésitent pas à proclamer : «c’est moi la princesse de Clèves !». Les rares garçons ont beau dire qu’ils s’identifient au duc de Nemours, rien à faire, ils sont eux aussi la princesse. C’est elle qui occupe l’attention ; ce sont ses émois et ses hésitations qu’ils partagent. Tous et toutes sont tourmentés, comme elle, par la tension entre le désir qui s’éveille à l’intérieur et la norme qui pèse depuis l’extérieur. Nous, princesses de Clèves aurait pu être une simple pichenette adressée à Nicolas Sarkozy suite à sa célèbre et vilaine sortie sur cette œuvre et sur la guichetière de la poste ; c’est finalement un film joyeux, empathique, lumineux et queer. Queer ? Le titre d’abord, nous l’avons suggéré, a des airs de slogan homosexuel révolutionnaire. Et cette façon de filmer les adolescents surtout, leurs visages en gros plan, leur diction décidée qui parfois trébuche sur le phrasé du XVIIe. Et qu’ils sont beaux et qu’elles sont belles avec leurs appareils dentaires chemins de fer et leurs rires qui déraillent. Des jeunes avec de l’acné, loin des gossip girls et méchus branchés qui monopolisent l’espace public adolescent. Des gamins pour qui le bac est un sésame, un ticket pour une vie meilleure ; un jeune homosexuel pour qui Paris représente encore l’eldorado, un lieu de liberté, où il pourra peut-être un jour «vivre enfin l’amour». Des découvreurs qui visitent le Louvre et la Bibliothèque nationale de France, en sortent émus mais s’interrogent : «est-ce que c’est notre histoire ?». Queer aussi car les corps de ces jeunes gens sont en transition, car ils nous apparaissent comme des êtres étranges, moins «gommés» que beaucoup dans leur génération. Queer car leur genre de beauté est inhabituel, comme refoulé par les images et les discours qu’on nous sert ailleurs sur la postérité. Le regard que pose Régis Sauder sur ces jeunes est plein d’une bienveillance que son film nous propose de ré-instituer en valeur supérieure.

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