«Une fulgurance, un jaillissement…»

Écrivain, critique littéraire et animateur de télévision, Philippe Besson a publié en 2004 Les Jours fragiles, roman centré sur les derniers jours d’Arthur Rimbaud.

Quand et comment avez-vous découvert Rimbaud ?
À peu près comme tout le monde, quand j’avais quinze ou seize ans, au lycée où on m’a fait lire ses œuvres. C’est là que je l’ai découvert et que je ne l’ai pas compris ; je m’en suis tenu à la surface des choses et les poèmes m’ont paru incompréhensibles, à l’exception de quelques-uns comme Le Dormeur du Val. Et en même temps, j’étais, comme beaucoup je pense, fasciné par sa jeunesse et par la photo d’Étienne Carjat prise à dix-sept ans. Ce n’est que plus tard que j’ai réussi à mieux comprendre sa poésie, même s’il y a toujours des éléments qui me résistent, tant elle est pleine de fulgurances et d’obscurités à la fois.

Comment expliquer qu’il fascine encore plus qu’aucun autre poète ?
D’abord parce qu’il a quand même écrit quelques chef-d’œuvre… Ensuite parce qu’il a eu le génie d’écrire très jeune (grosso modo entre quinze et vingt ans), avant de disparaître des écrans-radars pour mourir à trente-sept ans. Il est donc figé pour toujours dans une éternelle jeunesse. Sa flamboyance en a fait une icône, comme si son personnage l’emportait sur sa poésie. C’est tout de même l’un des rares auteurs dont on utilise le visage pour faire des T-shirts ou des posters ! Enfin, il y a évidemment chez lui quelque chose de l’ordre du génie. Son œuvre serait moins surprenante si elle avait été écrite par un homme mature et construit ; mais le fait qu’elle émane d’un enfant de quinze ou seize ans relève quasiment du surnaturel. On ne sait pas d’où son génie vient et comment il est possible d’écrire si jeune des choses si incroyables. À partir de là, il devient indiscutable qu’il est d’une essence différente de celle de tous les autres poètes et qu’il les surplombe de son génie. Sa fin, à la fois misérable et tragique, à l’âge de trente-sept ans et avec une jambe en moins, participe également du mythe.

En quoi sa poésie est-elle révolutionnaire ?
Parce qu’il a écrit des choses qui n’avaient jamais été écrites avant et qui ne seront jamais écrites après. Il y a dans son œuvre des vers qui nous émeuvent terriblement et d’autres qu’on ne comprend pas mais dont la sonorité remplace le sens. Il y a là une fulgurance, un jaillissement qui fait penser à la lave d’un volcan qui s’échappe. Sa poésie n’est pas du tout douce, au contraire, elle est très violente, à mille lieues du cliché du poète romantique souffreteux. Rimbaud, ce n’est pas un romantique ni un gentil, c’est un rocker !

Est-il anachronique ou pertinent de voir en lui un «poète homosexuel» ?
Ce serait à mon sens une réduction. Il se trouve que Rimbaud est poète et par ailleurs plutôt homosexuel (mais pas seulement) et qu’il a effectivement eu plusieurs relations longues, enflammées, douloureuses et chaotiques avec Verlaine et d’autres hommes. Mais s’il est cela en particulier, il est aussi bien autre chose. Par ailleurs, l’homosexualité ne me paraît pas forcément être la grille de lecture de son œuvre la plus pertinente. La sexualité de Rimbaud ne peut se résumer à son homosexualité : d’une part parce qu’on sait qu’il n’a pas connu que des hommes, mais aussi parce qu’il est resté longtemps abstinent. On lui connaît assez peu de relations quand il était en Afrique. C’est d’ailleurs une des forces de Rimbaud : son mystère.

Peut-on qualifier Rimbaud d’«icône gay» ?
Qu’il soit iconique et que les homosexuels le connaissent, cela ne fait aucun doute. Si on en interroge quelques-uns au hasard dans la rue, il y a fort à parier qu’ils aient de lui une image plutôt positive et qu’ils le reconnaissent comme l’un des leurs. Mais est-ce que cela en fait une icône gay ? Je n’en sais rien. C’est aussi avant tout une icône de la jeunesse et c’est peut-être d’ailleurs ce qui plaît aux gays.

 

Le crépuscule d’un poète

En 1891, après plusieurs années passées dans la corne de l’Afrique (où il s’est livré notamment au trafic d’armes), Rimbaud rentre en France en raison de douleurs dans la jambe droite qui l’empêchent de se déplacer normalement. Débarquant à Marseille le 20 mai, il est aussi hospitalisé et amputé une semaine plus tard. Tel est le point de départ des Jours fragiles, qui se présentent comme le journal imaginaire sa sœur Isabelle, de six ans sa cadette. Elle restera à son chevet durant les six derniers mois de sa vie, pansant ses blessures, accablée comme lui par le cancer qui le ronge inexorablement. On découvre alors le poète à travers les yeux d’une femme pieuse, vierge à trente ans, pétrie d’amour pour un frère qu’elle ne comprend pas et malgré cela prête à gommer pour la postérité les aspects les dérangeants de son existence (dont sa relation avec Verlaine, par exemple). Après plusieurs semaines d’agonie, Arthur Rimbaud est mort à Marseille le 10 novembre 1891.

Les Jours fragiles de Philippe Besson, éditions Julliard, 2004, 188 pages

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