Bien velus chez nous

Objet de répulsion ou de fascination, le poil est aussi l’enjeu de luttes sociales et politiques, notamment pour les féministes.

S’il est un marronnier particulièrement rebattu dans la presse gay ou masculine, c’est bien celui-ci : le poil, source éternelle d’interrogations métaphysiques pour journaliste en panne de sujet, sur le mode «faut-il s’en débarrasser ou le conserver, voire l’entretenir ?». Le poil n’est pourtant pas qu’une question de tendance ou de mode saisonnière : symbole de puissance et de virilité (comme le rappelle par exemple le mythe de Samson, personnage biblique qui tirait sa force de son abondante chevelure), il a partie liée avec le pouvoir et la sexualité, que ce soit chez les hétéros ou chez les homos. À la une des magazines gays ou dans les films à thématique homosexuelle, la prédominance des hommes jeunes, épilés ou glabres (appelés en anglais des twinks) n’est plus à démontrer : si les hommes poilus (les fameux «bears» ou «nounours») gardent leurs admirateurs dévoués, leur image apparaît de toute évidence moins vendeuse en terme de marketing. Cette normativité des twinks n’est cependant pas univoque, car l’amour des corps imberbes peut rapidement valoir à qui le professe des accusations de pédérastie, voire de pédophilie. En effet, en apparaissant à la puberté, le poil contribue à la transformation de l’enfant en adolescent(e), puis en adulte : il participe donc à la définition du licite et de l’illicite en matière de sexualité. Et pas seulement pour fixer l’âge de la majorité sexuelle, mais aussi pour déterminer ce qui peut être montré et ce qui doit être caché : longtemps, la représentation des poils pubiens a constitué pour la censure la limite de l’acceptable. Dans l’histoire de la peinture occidentale, les tableaux représentant la toison pubienne féminine sont ainsi extrêmement rares jusqu’à la toute fin du XVIIIe siècle. La Maja nue de Goya, peinte entre 1797 et 1800, est l’une des premières œuvres osant s’affranchir de ce tabou ; elle fut largement considérée comme pornographique et valut à son auteur des démêlés avec l’Inquisition espagnole.

Nique la peau lisse

Les femmes ont, elles aussi et davantage peut-être que les hommes, maille à partir avec le poil. Car s’il est, le plus souvent, valorisé chez la gent masculine, il est à l’inverse diabolisé chez les individus du beau sexe. Suivant les cultures et les époques, les femmes sont ainsi sommées de s’épiler les jambes, les sourcils, les aisselles, voire le pubis. Le poil devient alors, pour user d’une terminologie inventée par le philosophe Michel Foucault dans les années 70, l’instrument d’un «biopouvoir», d’un contrôle des populations à travers le corps. C’est contre cette oppression, d’autant plus pernicieuse qu’elle est bien souvent intégrée et volontaire, que s’élèvent certaines féministes en exhibant fièrement leurs jambes ou leurs aisselles velues (façon Patti Smith sur la pochette de son album Easter), voire en arborant comme un défi moustache et mono-sourcil, à la manière de la musicienne lesbienne androgyne JD Samson (membre des trio électro-punk Le Tigre et MEN et collaboratrice régulière de Peaches). Les militants du Mouvement International pour une Écologie Libidinale (M.I.E.L.) organisent quant à eux chaque année depuis 2005 un «printemps et été sans épilation». Pour ces défenseurs du «corps naturel» (opposés également au port du soutien-gorge, à la circoncision et à toute forme de mutilation génitale), qui dénoncent les intérêts économiques cachés derrière le culte des peaux lisses, l’épilation fait mal, pollue, dessèche et fragilise la peau, favorise les infections, occasionne rougeurs, boutons et poils incarnés, représente une perte d’argent et de temps… Autant d’arguments sensés et recevables, mais qui peinent à s’imposer face aux poids des normes esthétiques et des traditions. Comme si le poil, rappel de notre dimension animale, restait finalement une affaire de passion davantage que de raison.

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