Face à Face, 1er clap

Résumé de la première soirée de la septième édition du festival international du film gay et lesbien de Saint-Étienne, Face à Face, marquée par la projection du dernier long-métrage de Gaël Morel, Notre Paradis.

Il y avait foule jeudi soir à l’Office du Tourisme de Saint-Étienne, pour le cocktail d’ouverture de la septième édition du festival international du film gay et lesbien de la cité stéphanoise, Face à Face. Le bâtiment arborait pour l’occasion à son fronton un drapeau arc-en-ciel et de nombreux élus et “officiels” de la municipalité socialiste avaient fait le déplacement : de quoi satisfaire le président de l’association organisatrice, Antoine Blanchard.

Après avoir sacrifié comme il se devait au rituel des petits-fours, tout ce petit monde s’est dirigé vers le cinéma Le Méliès , où le réalisateur Gaël Morel était venu présenter son dernier long-métrage, Notre Paradis, en compagnie du compositeur Camille Rocailleux, qui signe la musique originale du film.

Il s’agit de la troisième collaboration entre les deux hommes, après Le Clan (2004) et New Wave (2007).

Notre Paradis décrit la passion destructrice de Vassili, prostitué vieillissant (Stéphane Rideau, qui cherche ici à casser son statut d’icône gay en prenant quinze kilos pour les besoins du rôle) et d’«Angelo» (Dimitri Durdaine), jeune homme blond dont on ne connaîtra jamais ni l’âge, ni le vrai prénom.

 

À sa sortie fin septembre, le film s’était vu reprocher de présenter une «mauvaise image» de l’homosexualité. Pour ses détracteurs, il renvoyait à une époque où l’homosexualité au cinéma ne pouvait être qu’une malédiction conduisant inéluctablement ceux qui en étaient frappés au désespoir (façon L’Homme blessé de Patrice Chéreau, 1983) ou à la mort (façon La Rumeur de William Wyler, 1961, ou plus récemment Le Secret de Brokeback Mountain de Ang Lee, 2005).

Aujourd’hui que, dans les pays occidentaux du moins, deux personnes du même sexe peuvent s’aimer sans que cela ne débouche forcément sur un drame, le cinéma se devrait de donner des homosexuels une représentation positive, légère, «normale», celle de jeunes gens proprets et cultivés de la bourgeoisie urbaine, en tous points semblables à leurs congénères hétéros et qui traverseraient leurs petites péripéties sentimentales bien ordinaires la mèche au vent sur un air d’Alex Beaupain ou de France Gall. Or, ce n’est pas précisément ce que montre Notre Paradis

Fidèle comme toujours à ses origines sociales modestes, Gaël Morel s’intéresse une fois de plus à des marginaux, des déclassés, des prolétaires du sexe que l’on désire sans chercher à les connaître lorsqu’ils sont jeunes et qu’on méprise et humilie lorsqu’ils ont passé la trentaine.

Ce faisant, il ne propose pas un film sur l’homosexualité, comme on le lui a – à tort – reproché, mais sur deux homosexuels qui baisent, se droguent, se prostituent, volent leurs clients et les assassinent le cas échéant, allant ainsi résolument à l’encontre des pulsions normalisatrices qui agitent une part importances des gays et des lesbiennes d’aujourd’hui.

Cru, violent, sombre, désespéré, Notre Paradis est un film gay mais pas très gai, à la lisière des genres (entre film noir et drame), bref, l’exact opposé d’un «feel good movie». On peut comprendre qu’en cette période pas franchement joyeuse, en ces temps d’actualité anxiogène et de sinistrose généralisée, certains aient été rebutés par tant de noirceur.

Il serait dommage pourtant de passer à côté de Notre Paradis, ne serait-ce que parce qu’il aborde frontalement une question gênante pour les hétéros comme pour les homos (et peut-être plus encore pour ces derniers) : celle de l’âge et de son impact dans les relations amoureuses. Il est glaçant ainsi de voir que Vassili est considéré par ses clients (et se considère lui-même) comme un «vieux», alors qu’il est encore dans la trentaine. Sa liaison avec son jeune amant est regardée avec suspicion et incompréhension («tu mérites mieux que lui», se permet d’affirmer un client à Angelo en apprenant qu’il sort avec Vassili). Lui-même a parfois du mal à comprendre qu’une relation entre un «daddy» et son «protégé» puisse reposer sur autre chose qu’un besoin d’argent du plus jeune (en témoignent ses rapports pour le moins conflictuels avec le personnage de Kamel dans le dernier tiers du film). À l’heure où un sondage réalisé les 18 et 19 novembre révélait que 63% des Français considèrent les jeunes comme «égoïstes» et 53% «paresseux» et «intolérants», Notre Paradis appuie là où ça fait mal et illustre le rapport schizophrène, donc malsain, que nos sociétés entretiennent avec leur jeunesse, à la fois paupérisée, méprisée, exclue des instances dirigeantes, considérée avec méfiance et érigée en arbitre dictatorial du désir et des modes.

Aux côtés de ses deux acteurs fétiches, Stéphane Rideau et Béatrice Dalle, Gaël Morel a eu l’audace de donner l’un des rôles principaux à un jeune homme inconnu, un non-professionnel recruté par casting sauvage, comme il l’avait déjà fait pour Le Clan en 2004 et pour New Wave en 2007. Malgré son inexpérience des plateaux, Dimitri Durdaine est remarquable dans le rôle d’Angelo et montre une fois de plus qu’un non-professionnel apporte toujours un peu de fraîcheur dans un cinéma français qui a trop tendance à se reposer sur une poignée d’acteurs «bankables» qui enchaînent les tournages et que l’on finit par voir partout.

Cet après-midi, à 14h30, le festival se poursuivra avec une deuxième séance scolaire destinée à des lycéens rhônalpins, qui pourront ainsi découvrir, si ce n’est déjà fait, le très beau deuxième film de Céline Sciamma, Tomboy .

Les séances tout public reprendront en début de soirée au cinéma Le France avec un douloureux dilemme : faut-il aller voir le film chilien Les Vieux Chats, de Sebastian Silva et Pedro Peirano (2010, 1h28, sortie en France prévue pour le 12 mars prochain) à 18h15 ou bien le documentaire américain Beyond Gay : The Politics of Pride, réalisé par le directeur de la Gay Pride de Vancouver (Canada), Bob Christie (2009, 1h27) à 18h ?

Le premier se présente comme «une journée particulière dans la vie d’Isadora, octogénaire des quartiers chics de Santiago du Chili : sa fille Rosario a l’intention de se refaire une santé financière en la contraignant à vendre l’appartement familial» (dixit le dossier de presse).

Le second s’apparente à un «voyage à travers le monde pour nous montrer les pays où la Gay Pride est une fête gigantesque comme le Brésil ou les USA, mais aussi là où une puissante oppression existe toujours. Un chemin initiatique et grandiose, excitant et parfois dramatique, qui montre que la Gay Pride n’est pas seulement une célébration, mais bien une avancée des droits de l’homme au niveau international» (dixit le dossier de presse toujours).

On optera plutôt pour la seconde option, sachant qu’une séance de rattrape est prévue samedi à 16h (toujours au cinéma Le France) pour ceux qui auraient raté Les Vieux Chats vendredi.

La soirée se poursuivra à 20h à la cinémathèque de Saint-Étienne pour une séance en entrée libre durant laquelle seront projetés sept court-métrages : The Other Side de Revital Gal, The Best Is Yet To Come de Eunice Wu, Lash de Elka Kerkohfs, Todo Queda En La Familia de Luis Fabra, Mann Mit Bart de Maria Davidou, Ere Mela Mela de Daniel Wiroth et Lionel Hoche et enfin Alger la Blanche de Cyril Collard.

Et il y a fort à parier que la nuit s’achèvera ensuite dans l’un des quatre bars gays et/ou lesbiens stéphanois ou encore au G Club, la discothèque de la rue de la Richelandière.

La suite du déroulement du festival demain sur www.heteroclite.org.

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