Pourquoi les gays ne sont PAS passés à droite

120130_9782021050370FSCritique de l’ouvrage de Didier Lestrade qui a beaucoup fait parler ces dernières semaines.

Fondateur d’Act Up-Paris et du mensuel Têtu, figure majeure de la lutte contre le sida en France, infatigable mouche du coche de la cause gay, Didier Lestrade publie en ce début d’année un livre au titre explicite : Pourquoi les gays sont passés à droite (Seuil) Par malchance pour son auteur, l’ouvrage paraît en même temps qu’une note du Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF, qui affirme au contraire l’ancrage à gauche des gays, bis et lesbiennes.

Il faut dire que la méthodologie de Lestrade tient moins de la sociologie politique que de la technique du doigt mouillé : un micro-trottoir au Cox (un bar gay du Marais où la victoire de Sarkozy a été amplement fêtée le 6 mai 2007) et quelques «gays de droite» ayant récemment défrayé la chronique (le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, le mondain François-Marie Banier…) constituent à eux seuls une part importante de sa démonstration.

Même les bonnes idées de l’auteur (sortir du cadre hexagonal pour examiner la situation d’autres pays européens) se retournent finalement contre lui. Ainsi, après avoir analysé l’émergence, en Suisse, en Autriche et aux Pays-Bas, d’une extrême-droite qui se prétend la protectrice des minorités sexuelles face à l’«islamisation» du Vieux Continent, Lestrade calque cette évolution sur le paysage politique français pour mieux appuyer sa thèse d’un développement galopant de l’«homonationalisme». Au point d’en oublier les spécificités historiques de l’extrême-droite française et la réticence persistante du Front national à se convertir aux droits LGBT. Le fameux  discours prononcé à Lyon le 10 décembre 2010 par Marine Le Pen (dans lequel elle semblait prendre la défense des gays de banlieue contre leurs oppresseurs, forcément musulmans) sert ici d’arbre cachant la forêt : cité par Lestrade à l’appui de sa démonstration, il ne représente pourtant qu’une occurrence unique qui ne fut pas suivie du moindre infléchissement programmatique (si elle ne réclame plus l’abrogation du Pacs, Marine Le Pen reste en revanche fermement opposée à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, comme à toute action de sensibilisation ou de lutte contre les discriminations ou le sida). Plutôt qu’un revirement idéologique, ce discours ne constitue donc rien d’autre qu’une incohérence de plus de la part d’une candidate «attrape-tout» qui tente de fédérer autour d’elle homosexuels et homophobes, républicains et nostalgiques de l’Ancien Régime, chantres de la laïcité et intégristes chrétiens, défenseurs inconditionnels d’Israël et antisionistes radicaux.

Lestrade s’en prend également au milieu associatif et militant LGBT, coupable selon lui de mollesse et donc responsable du «retard français» sur les problématiques du mariage et de l’adoption du fait de son manque de pugnacité. C’est oublier que le «retard français» est tout relatif : sur les vingt-sept États membres de l’Union Européenne, seuls cinq (Pays-Bas, Belgique, Espagne, Suède et Portugal) ont légalisé le «mariage homosexuel» et nombreux sont ceux qui ne disposent pas même d’un équivalent de notre PACS (Italie, Grèce, pays d’Europe centrale et orientale…). C’est aussi absoudre bien rapidement de ses responsabilités la majorité politique au pouvoir en France depuis une dizaine d’années (soit à peu près depuis que la question a émergé dans le débat public en Europe).
L’ouvrage touche le fond lorsque, suivant en cela l’exemple du féminisme queer pro-hijab (représenté entre autres par Christine Delphy, les Panthères roses ou les Tumultueuses), Lestrade cherche à délégitimer toute critique du voile, du machisme d’inspiration musulmane ou de l’homophobie d’État régnant dans les pays arabes et/ou musulmans. Les reportages de Têtu sur les difficultés rencontrés par les gays en Iran, les ouvrages de l’essayiste Caroline Fourest ou les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo s’inscriraient ainsi selon lui dans une logique de «choc des civilisations» et d’homonationalisme (un concept qui, décidément, se prête à toutes les confusions).

Dans cet océan de procès d’intention et d’amalgames surnagent pourtant quelques pépites qui valent à elles seules qu’on lise Pourquoi les gays sont passés à droite. Ça et là, l’ouvrage contient ainsi quelques passages passionnants sur l’importance du coming-out et de l’affirmation de soi, sur la défense de l’idée communautaire, sur la position victimaire adoptée par une partie du mouvement LGBT français, sur le tourisme sexuel déguisé promu par certains titres de la presse homosexuelle…. Quelques soient les désaccords de fond que l’on peut avoir avec Didier Lestrade, il faut lui reconnaître une vivifiante capacité à poser (parfois) de bonnes questions et à secouer vigoureusement le cocotier du petit monde LGBT qui, comme tous les autres, a tendance à s’assoupir lorsqu’il n’est pas assez stimulé. Rien que pour cela, grâce lui soit rendue.

Pourquoi les gays sont passés à droite, de Didier Lestrade, éditions Seuil, 142 pages, 14, 50€

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