Site qui rend contre

Naguère c’était les pissotières, aujourd’hui Grindr : les temps changent, les modes de sociabilité entre homos également.

La scène se passe à la terrasse d’un bar gay bien connu de la Presqu’île lyonnaise, par un beau soir de mai. Le temps est doux et propice à l’effusion des sens, les débardeurs et les T-shirts sont de sortie, la clientèle est au rendez-vous. Et pourtant ces messieurs ne se draguent pas, ne se matent pas, ne s’effleurent même pas. Les yeux rivés sur un écran de quelques centimètres carrés, ils pianotent sur leur smartphone, en quête du partenaire sexuel le plus proche, celui qui, peut-être, fait de même au même moment, à quelques tables seulement derrière eux… Internet et la géolocalisation (système permettant de situer une personne à l’aide de ses coordonnées géographiques) vont-il tuer la drague «à la papa», celle dont parle encore avec des larmes dans les yeux la vieille génération qui a connu la grande époque des pissotières ? Sans verser dans cette vision alarmiste, on est bien forcés de reconnaître que les nouvelles technologies représentent, pour les homos plus encore que pour les autres, un bouleversement dans les techniques de séduction. Car, minoritaires au sein d’une société très majoritairement hétérosexuelle, les gays et les lesbiennes ont été naturellement parmi les premiers à profiter des facilités de rencontre que l’informatique leur offrait. Et ce au moins depuis les débuts du Minitel dans les années 80. Dans les années 2000, les sites de rencontres connaissent un essor considérable et un «taux de pénétration» beaucoup plus élevé chez les gays que chez les hétérosexuels. Là où beaucoup de ces derniers hésitent encore à s’inscrire sur Meetic à cause de l’image négative d’eux-mêmes que cela leur renverrait, les homos assument sans complexe leur addiction aux chats online. Mais après le Minitel, après l’Internet à domicile, l’essor des «téléphones intelligents» va permettre l’émergence d’un modèle de rencontres… d’un troisième type.

iPhone, la Rolex des gays ?

Plus qu’un simple passage de l’écran d’ordinateur à l’écran du téléphone, les applications de rencontre via géolocalisation pour smartphone représentent un véritable changement de paradigme en matière de chat-dating. Car on n’est plus chez soi, confortablement assis devant son ordinateur, maître de son temps, libre de flirter des heures par écrans interposés, de chercher indéfiniment le grand amour ou un partenaire sexuel pour plus tard. Grindr et les applications du même type, qui indiquent en priorité les utilisateurs les plus proches, poussent au contraire à la rencontre immédiate et le plus souvent sexuelle. Paradoxalement, elles favorisent donc une sorte de retour de la drague «en plein air», puisque l’on peut emporter son smartphone partout avec soi. Mais, si elles élargissent indéniablement le périmètre géographique des rencontres, on peut penser qu’à l’inverse, elles réduisent leur périmètre social. Car, même s’ils se démocratisent depuis quelques mois, iPhone, BlackBerry et Androïd restent encore des signes extérieurs de richesse un peu bling-bling, que tous n’ont pas les moyens de s’offrir. Et ce en dépit du concept marketing connu sous le nom de Double Income No Kid, le fameux DINK, qui voudrait que les gays et les lesbiennes, n’ayant (le plus souvent) pas d’enfant, bénéficient d’un pouvoir d’achat plus élevé que la moyenne. Les applications de géolocalisation restent alors le plus sûr moyen de cultiver l’entre-soi social, en ne rencontrant que des gens de son milieu et de sa classe. Pire encore, en rendant le smartphone indispensable, elles participent à l’établissement d’un modèle normatif, suscitant chez les gays un désir de mimétisme. Elles encouragent ainsi de façon indirecte le consumérisme et l’individualisme qui, pour nombre d’activistes, menacent de tuer toute velléité de militantisme au sein de la «communauté LGBT». Même utilisé pour des rencontres de charmes, le téléphone n’est donc pas forcément (tout) rose…

Gare aux fuites !

En trois ans d’existence, l’application Grindr, lancée le 25 mars 2009, aurait déjà séduit plus de 2, 6 millions d’hommes gays ou bisexuels à travers 192 pays (soit la quasi-totalité des États recensés), selon son fondateur Joel Simkhai, un jeune geek israélo-américain âgé de 36 ans. Parmi ses principaux faits d’armes : la démission, l’été dernier, d’un sénateur portoricain, farouche opposant au mariage homosexuel, qui avait imprudemment posté sur l’application plusieurs photos de lui complètement nu. Début 2012, un hacker australien a pourtant menacé ce beau conte de fées en parvenant à s’introduire sans difficulté dans la base de données de l’application, accédant ainsi aux informations confidentielles des utilisateurs.

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