Voguing : les gays noirs de Harlem au firmament

Le voguing, héritier des balls des années 20 et popularisé par Madonna avec son titre Vogue en 1990, connaît aujourd’hui un vif regain d’intérêt.

 

Voguing im-Vogue!-Baltimore-(Dale-Duckwalk,-Eubie Balke-Centre),-2011-©-Frédéric-Nauczyciel

 

Le voguing est un phénomène chorégraphique qui marque une étape importante dans l’affirmation d’une identité gay noire américaine, cherchant à se distinguer à la fois d’une culture homosexuelle ethno-centrée et d’une culture noire aux accents virilistes.

Le retour du voguing ?

Qu’est-ce qui peut bien pousser la toute jeune maison d’éditions Des ailes sur un tracteur, taraudée par les questions LGBT, à consacrer un ouvrage à l’histoire du voguing ? Qu’il s’agisse du livre de photo de Chantal Regnault, des performances et des photos du plasticien Frédéric Nauczycel, de la programmation lors de la récente Biennale de la danse de Lyon du spectacle de Cécilia Bengola et de François Chaignaud ou des articles consacrés au phénomène sur minorités.org, il semblerait que le voguing fasse son come-back. Encore que pour parler de come-back, il faudrait que le phénomène se soit déjà manifesté une première fois. Or, en France, pour la plupart des gens, l’expérience la plus proche du voguing a consisté à poser en boîte sur Vogue de Madonna. Inspiré des balls new-yorkais des années 20 qui réunissaient une foule interlope principalement blanche, le voguing émerge véritablement dans les années 60 à Harlem au sein de la communauté gay noire. Il s’agit alors de compétitions qui opposent des danseurs arborant les tenues les plus extravagantes et qui prennent la pose, imitant les mannequins en couverture du célèbre magazine Vogue. Peu à peu, le mouvement va trouver sa place au sein des clubs new-yorkais et la gestuelle va se codifier jusqu’à laisser le néophyte sur le carreau.

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Welcome to my house

Avec son jury et ses petites pancartes sur lesquelles sont inscrites les notes, le voguing pourrait faire penser à L’École des fans. Ce n’est pourtant pas franchement du Jacques Martin. Dans un esprit résolument festif, chaque participant tente de remporter un prix, pour lui-même mais aussi pour le groupe auquel il est affilié. En effet, les danseurs sont réunis au sein de houses qui sont organisées comme de véritables petites familles autour d’une mother – souvent un danseur renommé qui donne son nom à la house. Il existe ainsi la House of Xtravaganza ou la House of Ninja. Certains groupes choisissent néanmoins de mettre en avant leur lien avec la mode – et renouent ainsi avec les origines du terme voguing – en empruntant leur nom à de grandes maisons de couture européennes comme Chanel, Dior ou Balenciaga. Les membres de ces familles de substitution sont majoritairement noirs et gays, bien que l’on y trouve également des lesbiennes, des femmes hétéros, des latinos ou des asiatiques.

 

Voguing- Vogue!-Baltimore-(Ezra-Swan,-Eubie Balke-Centre),-2011-©-Frédéric-Nauczyciel

 

Danser pour s’affirmer

Néanmoins, si ces folles revendiquées passent des journées entières à confectionner des tenues de plumes et de paillettes et à perfectionner leurs mouvements, ce n’est pas que pour le plaisir du show. Face à une communauté gay blanche ethno-centrée et incapable d’intégrer ses minorités et à une communauté noire peu gay-friendly, il s’agit de se construire une identité queer propre. La danse permet alors de jouer le genre, de le performer, comme dirait Butler, donnant naissance à des créatures flamboyantes, qui tirent vers la marge toute une mythologie américaine du glamour, nourrie par Hollywood et la presse magazine. Dans ces espaces que sont les ballrooms, chaque participant part à la conquête de son identité, dessinant les contours de ce qu’il est, cherchant à s’émanciper de la norme que lui impose son sexe ou sa couleur de peau. Le voguing rappelle alors à chacun que la danse reste une incroyable force libératrice, capable de redistribuer les enjeux de pouvoir.

 

À lire, à voir

Tiphaine Bressin et Jérémy Patinier, Strike a pose : Histoire(s) du voguing, éditions Des ailes sur un tracteur, 227 pages.

Chantal Regnault, Voguing and the House Ballroom of New York City 1989-92, Soul Jazz Records, 200 pages

Frédéric Nauczyciel, Legendary et Vogue ! Baltimore (albums de photos à voir sur seeyoutomorrow.free.fr)

 

Photos © Frédéric NauczycielDanseurs

Danseurs sur les photos : 1. Dale Duckwalk 2. Kory Goose Revlon 3. Ezra Swan

 

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