“Monsieur Antinoüs et Madame Sapho” : mariage homo au XIXe

Étonnant et singulier mariage que celui, célébré à l’église parisienne de la Madeleine, qui ouvre Monsieur Antinoüs et Madame Sapho. Louis d’Herdy, pseudonyme de Louis Didier, a fait paraître ce roman en 1889. Il est aujourd’hui réédité par les éditions Gay Kitsch Camp qui, depuis une vingtaine d’années, ont publié de nombreux textes de la littérature «décadente» de la fin du XIXe  siècle et du début du XXe.

L’union de Marthe et Jacques, les deux héros de Monsieur Antinoüs et Madame Sapho, est bien loin de cette «union de l’homme et de la femme pour ne devenir qu’une seule chair» qui serait, nous dit-on, la définition intemporelle et universelle du mariage. Pour les deux jeunes époux, il n’est pas question de mener une vie et une sexualité communes. Mais, bien au contraire, de vivre une existence indépendante, chacun de son côté. Comme le dit Marthe à son amante Colette :«jeunes filles, nous n’aurions eu aucune liberté. […] Moi mariée, nous pourrons faire tout ce qui nous plaira, aller ensemble au bout du monde si nous le voulons».

Monsieur Antinoüs et Madame Sapho

L’institution du mariage “dévoyée”

Marthe fait ainsi le tour du monde avec Colette. Inconsolable de la perte de celui qu’il a aimé, Jacques, lui, court les soirées et les bals travestis et entreprend des mystérieuses promenades dans le Paris nocturne. Et les deux époux mènent ainsi des vies séparées, y compris dans leur appartement, chacun laissant une totale liberté à l’autre. Jusqu’à ce que la scène finale du bal – qui évoque le célèbre bal Bullier du Paris de la Belle-Époque – ne les réunisse dans d’amusantes circonstances et ne les fasse prêter un serment d’union, «lien plus étroit cent fois que celui qu’avait consacré l’échange des mystiques anneaux». Une fois Monsieur Antinoüs et Madame Sapho refermé, le lecteur prend une résolution : il l’offrira au prochain qu’il entendra demander, dans un mélange de fausse naïveté et prétendue radicalité, «mais pourquoi les gays veulent-ils maintenant se marier ? Pourquoi souhaitent-ils rentrer dans la norme ?».

Ce que nous rappelle Monsieur Antinoüs et Madame Sapho, c’est que lesbiennes et gays n’ont pas attendu le début du XXIe siècle pour voir leurs vies régies par le mariage. Mais qu’ils l’ont utilisé, déformé – dévoyé, diraient les gardiens de l’ordre – pour vivre comme ils l’entendaient.

Monsieur Antinoüs et Madame Sapho, de Luis d’Herdy (éditions GayKitschCamp)

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