Le Théâtre Les Ateliers plongé dans l’incertitude

Gilles Chavassieux n’imaginait sans doute pas une telle fin de carrière. À quatre-vingt ans, le fondateur et directeur historique du Théâtre Les Ateliers, qu’il a créé ex-nihilo en 1975, se voit poussé vers la sortie par les pouvoirs publics qui l’ont longtemps soutenu.

 

théâtre Les Ateliers

 

L’incertitude planait sur Les Ateliers depuis un an. Le 5 septembre 2012, lorsque Simon Delétang démissionne de la direction artistique du théâtre, il met fin à quatre ans de cohabitation plus ou moins heureuse avec Gilles Chavassieux, gérant de la SCOP Compagnie Les Ateliers et administrateur du théâtre, qui souhaitait en faire son successeur. Manquait-il d’intérêt pour le lieu ? S’est-il lassé d’attendre que les rênes du théâtre lui reviennent entièrement ? Gilles Chavassieux a-t-il raté sa sortie en ne partant pas lorsqu’il en était encore temps ? Toujours est-il qu’après deux candidatures infructueuses pour diriger les Centres dramatiques nationaux de Montluçon (en 2011) et de Dijon (en 2012), le jeune metteur en scène formé à l’ENSATT finit par jeter l’éponge.

Les Ateliers se retrouvent alors sans directeur artistique, une situation qui n’est pas du goût des tutelles publiques, principaux soutiens financiers du théâtre. Depuis le 30 juin dernier, ni la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) de Rhône-Alpes, représentant le ministère de la Culture et donc l’État, ni la Région Rhône-Alpes, ni la Ville de Lyon ne subventionnent plus les Ateliers. Le Conseil général du Rhône, autre partenaire historique, a pour sa part diminué sa participation de 50% en 2012 et de 76% en 2013, arguant du projet de métropole lyonnaise qui devrait prochainement lui enlever toute compétence sur le territoire de Lyon et de son agglomération.

Dans une lettre du 7 juin 2013, la Ville de Lyon et la DRAC estiment de concert que le théâtre doit désormais accueillir «un nouveau projet artistique», «porté par une nouvelle équipe», «indépendante» et «autonome». Ce projet ne saurait «dépendre d’une tutelle morale ou artistique». Elles exigent également un profond bouleversement dans la situation juridique du théâtre, qui ne serait plus confié à la SCOP Les Ateliers. Quant à la SARL Les Ateliers, elle devrait «céder sans frais la part de bail qu’elle détient actuellement».

Face à ce «diktat» qu’il juge «inacceptable», Gilles Chavassieux a dégainé en posant ses propres exigences : oui, il est prêt à démissionner, mais à condition que la SCOP soit maintenue et qu’il puisse «accompagner le nouveau gérant et directeur sur la programmation» de la saison 2013-2013 jusqu’au terme de celle-ci. Il réclame aussi de pouvoir jouer les spectacles de la compagnie théâtrale qu’il dirige aux Ateliers durant vingt-et-une représentations par an pendant quatre ans. Et pour financer ce travail d’écriture et de création, il demande en outre 40 000€ par an pendant quatre ans.

Dans de telles conditions, trouver un terrain d’entente entre ces deux positions a priori irréconciliables semble très difficile, pour ne pas dire impossible, même si Georges Képénékian, adjoint au maire de Lyon délégué à la culture, au patrimoine, aux grands événements et aux droits des citoyens, se dit confiant quant à la conclusion d’un accord d’ici la fin septembre. En attendant que celui-ci soit trouvé, Les Ateliers vont devoir apprendre à se passer des subventions publiques. Pour cela, une augmentation du prix du billet de spectacle à compter de janvier 2014 n’est pas à exclure. Par ailleurs, les compagnies théâtrales accueillies aux Ateliers seront désormais payées à la recette. La direction entend aussi utiliser au maximum l’espace à sa disposition, en louant par exemple la plus petite des deux salles du théâtre. D’une capacité de 98 places, celle-ci accueillera cet automne des contes pour enfants et jeunes adolescents. Mais c’est surtout sur la fidélité du public et la pertinence de sa programmation que compte Gilles Chavassieux.

Fidèle à son histoire, le théâtre se distingue cette année encore par son ouverture sur le monde. L’un des temps forts de la saison sera ainsi la création en France d’une pièce du dramaturge mexicain Edgar Chias, Le Ciel dans la peau (du 13 au 23 novembre), mise en scène par la jeune Anaïs Cintas et sa compagnie Les Montures du Temps. Accompagnée d’un chœur de femmes, la comédienne Odille Lauria dit la violence qui s’abat sur les femmes d’Amérique centrale, violence symbolisée par les milliers de féminicides commis ces dernières années dans la tristement célèbre cité de Ciudad Juarèz, située à la frontière américano-mexicaine. «Si un théâtre comme Les Ateliers n’était pas là pour programmer cette pièce, jamais la compagnie Les Montures du Temps n’aurait pu obtenir d’aide à la création !», s’alarme Gilles Chavassieux. Autre spectacle de la saison qui témoigne de la curiosité jamais assouvie des Ateliers pour l’étranger : Un Arabe dans mon miroir (du 15 au 25 janvier). Coécrite par Riad Gahmi et Philippe Vincent et mise en scène par ce dernier, avec l’aide de la chorégraphe Florence Girardon, la pièce traite des relations tumultueuses entre Occident et monde arabe à l’heure des révolutions de l’autre côté de la Méditerranée. Elle aussi sous les feux de l’actualité internationale pour les dramatiques raisons que l’on sait, la Grèce sera dignement représentée aux Ateliers par la chanteuse Angélique Ionatos, accompagnée de Katerina Fotinaki (du 11 au 13 décembre).

C’est qu’après quelques années d’éclipse durant lesquelles le théâtre s’était recentré sur les écritures contemporaines, la musique fera cette saison son grand retour aux Ateliers, particulièrement en décembre. Le spectacle Topor vous salue bien (du 2 au 5 décembre) rendra ainsi hommage à l’inclassable illustrateur, dessinateur, peintre, écrivain, poète, metteur en scène, chansonnier, acteur et cinéaste français Roland Topor (1938-1997). Dix jours plus tard, Alain Bert, Michel Grange et Gaëtan Verrier-Bert interpréteront des chansons de Léo Ferré (On s’dit qu’il est bien tard, du 16 au 18 décembre), avant la venue d’un «type bizarre», le musicien Erwan Pinard, qui présentera ses chansons durant son spectacle Sauvez les meubles ! (du 19 au 21 décembre).

Les Ateliers accueilleront également au cours de la saison plusieurs reprises, à commencer par le spectacle d’ouverture, Petites histoires stupéfiantes (du 1er au 19 octobre), d’après Noëlle Renaud, mis en scène par Charly Marty, interprété par Jean-Claude Bolle-Reddat et vu en mai 2012 au Lavoir public (codirigé par Olivier Rey, qui au milieu des années 2000 a justement mis en scène ses premières pièces aux Ateliers). Une autre reprise est particulièrement chère au cœur de Gilles Chavassieux : Le Square (du 7 au 26 octobre) de Marguerite Duras, qu’il met lui-même en scène dans une version que l’auteur d’Un barrage contre le Pacifique avait écrite spécialement pour les Ateliers en 1985. Citons enfin Sainte dans l’incendie (du 18 au 21 novembre), un texte écrit et mis en scène par Laurent Fréchuret qui retrace l’épopée de Jeanne d’Arc à travers les yeux d’une jeune paysanne (interprétée par l’actrice belge Laurence Vielle, seule en scène durant 1h05).

Cette programmation pourra-t-elle assurer la fidélité du public des Ateliers, malgré les incertitudes qui planent sur l’avenir du théâtre ? Début de réponse mardi 17 septembre à 19h30, lors de la présentation de la saison par les artistes eux-mêmes.

 

Théâtre Les Ateliers, 5 rue du Petit David – Lyon 2 / 04.78.37.46.30

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