Margaret Maruani : «le marché du travail fabrique des discriminations»

La sociologue Margaret Maruani est invitée par le festival Mode d’emploi à débattre autour de la question «le travail a-t-il un sexe ?»

 

Comment le genre se manifeste-t-il au travail en 2013 ?
La situation est extrêmement paradoxale, voire contradictoire : les femmes constituent aujourd’hui près de la moitié de la population active (48%), alors qu’elles n’en représentaient que le tiers dans les années 60. Par ailleurs, en France, elles sont plus instruites que les hommes depuis les années 70. On pourrait donc penser que l’égalité professionnelle devrait être une évidence ; or il n’en est rien. Les femmes continuent à subir différentes inégalités au travail : discrimination à l’embauche, inégalités de salaire, de carrière, sur-chômage, sous-emploi, etc. L’écart entre le niveau d’éducation des femmes et les places qu’elles occupent dans le monde du travail est un véritable gâchis.

Quelle est l’importance des écarts de salaire ?
C’est difficile de le dire parce qu’il n’existe pas un seul chiffre pour les quantifier. Tout dépend si l’on parle de salaire horaire, annuel, à temps plein ou à temps partiel… Mais en gros, on a l’habitude de considérer que les écarts de salaires entre hommes et femmes en France se situent autour de 27%.

Certains justifient ces écarts en affirmant qu’ils s’expliquent essentiellement par des carrières plus discontinues chez les femmes que chez les hommes…
En réalité, depuis les années 60, la trajectoire professionnelle des femmes est de plus en plus continue : dans leur écrasante majorité, elles ne s’arrêtent plus de travailler après la naissance de leurs enfants. Le taux d’activité des femmes en âge d’avoir des enfants (25-49 ans) était de 40% dans les années 60 ; il est de 85% aujourd’hui. Cet argument est donc aujourd’hui totalement fallacieux.

À quoi tiennent alors ces écarts ? Aux représentations sociales ?
Non. L’explication par les représentations ou les mentalités, à mes yeux, ne tient pas ; celles-ci sont beaucoup trop anecdotiques. C’est le fonctionnement même du système économique qui est responsable de cette situation. Le marché du travail est une machine à fabriquer de la discrimination et des inégalités. On a ainsi créé de toutes pièces une forme d’emploi réservé aux femmes : le travail à temps partiel, qui a vu le jour, en France, dans les années 80 et qui favorise le sous-emploi, les bas salaires et la pauvreté. Et ça, ce n’est pas du tout de l’ordre des représentations !

Est-ce lié à l’essor du néolibéralisme à partir de la fin des années 70 ?
Ces discriminations préexistaient au néolibéralisme, mais celui-ci les a aggravées. La dérégulation du marché du travail et la flexibilité ont affecté plus fortement les femmes que les hommes, par exemple en termes de sur-chômage : depuis le milieu des années 70, les femmes ont été beaucoup plus au chômage que les hommes. Il est vrai que depuis 2008, cette tendance s’est inversée ; mais ce changement est-il durable ou simplement ponctuel ? En attendant, aujourd’hui, les écarts de retraite sont plus importants encore que les écarts de salaire.

L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail est-il un des facteurs explicatifs de la montée du chômage observée depuis quarante ans ?
Cette idée est totalement stupide : le travail des femmes n’est en rien responsable du chômage des hommes, parce que le monde du travail est très ségrégé. Il y a des branches de métier très masculines et d’autres très féminines et cette division sexuelle du travail rend inopérante cette explication. Si les caissières et les femmes de ménage s’arrêtaient de travailler, cela ne créerait pas pour autant des emplois pour les hommes. Et inversement, alors que certains secteurs très féminins (comme celui des services d’aide à la personne) continuent d’embaucher, les hommes ne se précipitent pas dessus !

 

Travail, genre et société
Créée en 1999, la revue universitaire Travail, genre et société, dirigée par Margaret Maruani, est publiée aux éditions La Découverte et est disponible sur Cairn.info, un portail Internet mis en place en 2005 par quatre maisons d’édition (Belin, De Boeck, La Découverte et Érès), rejointes en 2006 par la Bibliothèque de France, qui regroupe des publications francophones en sciences humaines et sociales, dont beaucoup sont en libre accès. Ses fondateurs souhaitent montrer que «le travail n’est pas qu’une question parmi d’autres, mais une approche essentielle pour lire la place dévolue aux hommes et aux femmes dans l’ensemble de la société». La revue se veut pluridisciplinaire et traite de sujets relevant aussi bien de l’économie que du droit, de l’histoire, de la sociologie ou de la psychologie. Elle accueille dans ses colonnes un grand nombre de chercheurs étrangers qu’elle contribue à faire connaître des lecteurs francophones en traduisant leurs travaux.

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