Faut-il un monument aux victimes de LGBTphobie ?

Un monument aux victimes de LGBTphobies ? Pourquoi pas. Mais envisager l’histoire des personnes LGBT sous le seul angle des persécutions est réducteur.

Memorial to Homosexuals Persecuted Under Nazism heteroclite monument aux victimes homosexuelles du nazisme«Le projet Monument LGBT France permettra d’ancrer dans le paysage mémoriel français cette réalité passée et présente des souffrances endurées par les personnes homosexuelles, bi ou trans.»
(Tract édité par le collectif « Pour le monument LGBT »)

Plusieurs associations LGBT françaises (les «Oublié-e-s» de la mémoirel’Inter-LGBTDavid et JonathanFlag!, le Mémorial de la déportation homosexuelle…), réunies en collectif, travaillent depuis plusieurs mois au projet de dédier un monument aux victimes de LGBTphobies, depuis les «sodomites» brûlés vifs en place de Grève jusqu’aux victimes d’agressions de rue en passant par les déportés pour motif d’homosexualité. Afin de permettre au plus grand nombre d’apporter sa pierre à l’édifice, elles ont mis en ligne un questionnaire auquel chacun-e peut répondre et apporter ses suggestions, remarques, etc. Elles ont bien fait car ce projet pose question.

Envisager l’histoire des personnes LGBT sous le seul angle des persécutions est en effet pour le moins réducteur, pour ne pas dire insultant. C’est un peu comme si on étudiait l’histoire des Noirs américains uniquement à travers les victimes de l’esclavage et de la ségrégation, en occultant Rosa Parks, Malcolm X, Toni Morrison, Louis Armstrong et toutes celles et ceux qui ont contribué, par leur combat ou leur génie, à faire progresser leur pays.

On rétorquera que ce monument aux victimes servira à l’édification des générations futures. Mais quel message entend-on ainsi faire passer auprès des jeunes LGBT ? «Assume-toi et peut-être qu’un jour, comme tous ceux-là, tu auras toi aussi la chance d’être une victime» ? On a connu des incitations au coming-out plus convaincantes…

Malheureusement, montrer des gays, des lesbiennes ou des trans qui souffrent est toujours plus «vendeur» que de montrer des gays, des lesbiennes ou des trans en lutte pour leurs droits ou leur dignité. Notamment auprès des médias et des élus, qui savent comment déployer des trésors de compassion qui ne coûte rien en échange de quelques voix à grappiller : la maire de Paris, Anne Hidalgo, a d’ailleurs fait part – sans surprise – de son vif intérêt pour le projet…

Et si, au lieu de se lancer dans une énième initiative pleurnicharde, on dédiait un monument aux victimes, mais aussi aux héros ? Pas ceux qui ont réussi à transformer leur combat en rente et à faire de leur engagement associatif un tremplin vers les cabinets ministériels ou une carrière d’élu, hein…

Non, plutôt celles et ceux qui n’ont jamais eu besoin de se mettre dans la main des pouvoirs publics pour mener leur combat : les Françoise d’Eaubonne, les Guy Hocquenghem, les Grisélidis Réal, les Gouines rouges, les militants du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, d’Act Up, de AIDES  ou même d’Arcadie, qui, bien que longtemps décriés, ont eu le mérite de poser les premiers jalons du mouvement associatif LGBT français.

Et tiens, continuons à rêver : ce monument aux victimes ET aux héros, on le financerait sans argent public, sans demander de subvention à quiconque, simplement en faisant la quête dans la communauté. Histoire de voir si celle-ci s’intéresse ou non à son histoire et si elle juge que c’est dans ce projet que l’argent doit aller en priorité – ce qui peut se discuter. Allez, ce sera notre vœu pour 2015. Joyeuse année à tous !

Photo 1 : monument aux victimes gays, lesbiennes et personnes transsexuelles persécutées à Barcelone
Photo 2 : monument aux victimes homosexuelles persécutées sous le nazisme à Berlin

Poster un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.