
Dans “Le Dernier des Juifs”, Jacques Derrida à la recherche de son appartenance communautaire
Dans Le Dernier des Juifs, le philosophe Jacques Derrida explore sa propre “appartenance sans appartenance” à la judéité ou au judaïsme.
Le Dernier des Juifs, titre de ce volume qui réunit deux conférences, c’est Jacques Derrida lui-même (1930-2004). Explorant sa «propre appartenance sans appartenance» au judaïsme – et à la judéité, distincte, comme il y insiste, du premier –, le philosophe se présente comme le «moins juif», «le Juif le plus indigne». Il est celui qui se tient à l’écart du groupe, «en raison d’une force de rupture déracinante et universalisante avec le lieu, avec le local, le familial, le communautaire, le national» – et, en particulier, avec la politique israélienne et ses violences.
Mais Derrida prétend aussi être le «plus juif de tous» : s’il y a parjure, c’est au nom même de l’héritage d’une attitude liée au rejet du Juif, au nom de «l’hospitalité» due à «l’étranger» et de l’accueil «de la dissymétrie, de l’anachronie, de la non-réciprocité». Et au nom de l’enfant qu’il a été, marqué à vie par son exclusion à dix ans de l’école parce que juif. «Plus radicalement tu rompras (…), plus tu seras fidèle à l’exigence hyperbolique (…) d’une responsabilité universelle et disproportionnée devant la singularité de tout autre», affirme le philosophe, avançant sa «vigilance inquiète d’étranger de l’intérieur».
Réflexion sur le sujet minoritaire
Il n’est pas seulement question de judaïsme et de judéité dans Le Dernier des Juifs et c’est ce qui rend ce texte encore plus beau et plus puissant. Ce dont parle plus largement Jacques Derrida, c’est bien du sujet minoritaire, frappé dès l’enfance et pour toujours par l’insulte, qu’elle soit antisémite ou autre (et le philosophe fait d’ailleurs référence au Pacs, qu’il avait soutenu).
Il est aussi question de l’appartenance de ce sujet minoritaire au groupe auquel il est assigné. Derrida s’attarde en effet sur les tensions de ce que Jean-Paul Sartre appelle «l’authenticité» et de ce qu’on pourrait nommer la dialectique de la honte et de la fierté, ou de la réappropriation du stigmate. Il ne s’agit pas pour Derrida de la rejeter (en dépit de termes parfois violents contre la «grégarité fusionnelle»), mais d’en souligner les ambiguïtés. Appelant à l’«oscillation» et à l’«indécidabilité», il écrit : «quiconque répond à l’appel doit continuer à douter, à se demander s’il a bien entendu, s’il n’y a pas de malentendu originel, si c’est bien là son nom qui a résonné».
Le Dernier des Juifs de Jacques Derrida (éditions Galilée)
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