eddy bellegueule

Richard Brunel met en scène “Eddy Bellegueule”

Un peu plus d’un an à peine après la parution du livre En finir avec Eddy Bellegueule, Richard Brunel fait entendre par la voix de Micha Lescot la violence dont Édouard Louis fait le récit, la violence homophobe, raciste et plus généralement alterophobe qui surgit de la misère dans laquelle il a grandi. L’occasion de poursuivre la réflexion, développée notamment par Didier Eribon (auquel Édouard Louis fait référence), sur le terreau social de la violence, mais aussi d’échanger sur les façons de ne pas y opposer en retour une autre violence, de classe cette fois.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter En finir avec Eddy Bellegueule ? Est-ce le grand succès public et critique de ce premier roman ?

Richard Brunel : En fait, j’ai lu En finir avec Eddy Bellegueule avant son succès, auquel je ne m’attendais pas du tout. Mais je trouvais déjà le propos (comment un individu s’extrait d’une condition misérable, notamment par le théâtre) très intéressant. Et puis il y a cette violence, présente partout dans le roman, comme inéluctable, qui m’a beaucoup touché. Ça m’a donné l’envie de proposer une lecture-spectacle, comme une sorte d’esquisse de mise en scène qui n’en serait pas vraiment une. L’acteur (Micha Lescot, NdlR) aura le texte à la main, par exemple. En fait, il faut le voir comme une étape vers une future et éventuelle adaptation théâtrale.

Comment avez-vous travaillé avec Édouard Louis ?

Richard Brunel : Je lui ai demandé de me lire le texte. Ça a duré quatre heures et demie durant lesquelles j’ai été frappé par sa respiration haletante, son phrasé asthmatique et ses inflexions lourdes. En l’entendant, j’ai mieux perçu encore la fébrilité, la fragilité et l’humanité de ce texte. Ces deux derniers mois, j’ai passé une trentaine d’heures à discuter avec lui de tout et de rien : de sexualité, du théâtre, de ses parents, de la vie en général. C’est pour cela que j’ai l’impression de très bien le connaître et de comprendre ses interrogations.

Qu’est-ce que la scène, selon vous, peut apporter de plus que le roman ?

Richard Brunel : Mon but n’est pas d’apporter quelque chose en plus. Je n’ai aucune envie de faire le malin avec ce roman. Mon rôle, c’est de diriger un acteur, de l’aider à trouver sa place dans l’espace, de choisir le lieu des représentations également. Le fait que la lecture-spectacle se déroule dans un gymnase n’est évidemment pas anodin parce que le sport, dans le roman, représente tout ce qu’Eddy Bellegueule redoute : devoir faire la preuve de ses capacités physiques et aussi d’une certaine norme de masculinité, être confronté à la nudité (la sienne et celle des autres) dans les vestiaires… Pour moi, ce lieu est un moyen de faire entendre les recoins de la souffrance et de la violence.

Et c’est précisément ce que j’ai cherché à faire : puisqu’il est impossible de donner une lecture intégrale du texte, qui serait beaucoup trop longue, je veux proposer un parcours au sein du récit, en insistant par exemple sur la question du théâtre, qui est souterraine dans le roman et qui n’occupe peut-être que cinq pages sur cent cinquante. Pourtant, à mes yeux, ce sujet est primordial pour tenter de comprendre Édouard, qui dit lui-même que nous jouons sans cesse des rôles, sur scène ou ailleurs, jusqu’au point où nous sommes nous-mêmes joués par ces rôles. Et, pour s’en sortir, il reconnaît qu’Eddy Bellegueule a dû beaucoup mentir, beaucoup mimer, beaucoup singer les autres, jusqu’à ce que les rôles s’emparent de lui et que les mensonges deviennent vrais. Pour lui, le théâtre a ainsi été presque un apprentissage de ce qu’il était à travers l’imitation.

On a également choisi de développer le thème de la violence (au collège et au sein de la famille) ainsi que celui de la sexualité, à travers la scène du hangar avec ses cousins.

En finir avec Eddy Bellegueule a souvent été présenté comme un témoignage, un récit véridique, alors qu’il s’agit avant tout d’un roman, certes autobiographique mais pour une bonne part fictionnel. Comment vous situez-vous dans ce dialogue, parfois houleux, entre vérité et fiction ?

Richard Brunel : À partir du moment où il est marqué «roman» sur la couverture, je considère que c’est un roman. Si Édouard ment, transforme, déforme, c’est son travail d’écrivain. Moi, je ne m’en soucie pas. Ce n’est pas du tout ma question, ça n’interfère pas sur mon travail. Je sais que son livre noircit un peu le tableau mais je m’en fiche parce que ce qui m’intéresse, avant tout, c’est le regard de ce jeune homme, Eddy Bellegueule, qui essaye de devenir lui-même.

 

En finir avec Eddy Bellegueule, du 29 mai au 1er juin au gymnase de l’ESPE, 9 rue René de Châteaubriand-Valence / 04.75.78.41.71 / www.comediedevalence.com

 

 

Richard Brunel

Issu de l’École de la Comédie de Saint-Étienne, dans laquelle il a suivi une formation d’acteur de 1990 à 1992, Richard Brunel créé en 1993 la Compagnie Anonyme, qui s’établit en résidence au Théâtre de la Renaissance à Oullins de 1999 à 2002. Il dirige la Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche, depuis 2010. Parmi ses mises en scène les plus récentes, on se souvient bien sûr de Avant que j’oublie, de et avec Vanessa van Durme, spectacle dans lequel l’actrice belge confronte sa propre transition avec la perte de mémoire progressive de sa mère. La saison prochaine, l’Opéra de Lyon proposera de revoir sa mise en scène de L’Empereur d’Atlantis de Viktor Ullmann (du 17 au 24 mars 2016 au TNP de Villeurbanne) dans le cadre de son festival annuel, dont l’édition 2016 s’intitulera «Pour l’Humanité».

 

Photo © Jean-Louis Fernandez

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