Susan Sontag se livre dans “Tout et rien d’autre”

En 1978, Susan Sontag livre à Jonathan Cott l’autoportrait saisissant d’une femme à la stature exceptionnelle. Un entretien drôle, émouvant et brillant, enfin disponible en français.

susan sontag tout et rien d'autre conversation avec jonathan cott climats editions flammarion heterocliteNée en 1933 et décédée en 2004, Susan Sontag est une intellectuelle majeure du XXème siècle, figure de la gauche radicale américaine. Dans des entretiens de 1978 pour Rolling Stone, publiés pour la première fois en intégralité, elle parle de ses livres, notamment ceux sur le cancer (La Maladie comme métaphore) et la photographie (Sur la photographie). Mais aussi de la «nouvelle gauche» américaine, des années 60 et 70 et de son projet de travailler les «pulsions fascistes» des progressistes. De Patti Smith, de Bill Haley & His Comets et de la manière dont, plus qu’elle ne l’écoute, elle vit le rock. Du féminisme, dont elle se réclame ; du féminin et des «valeurs féminines» qu’elle critique (notamment à propos des livres d’Hélène Cixous). De Nietzsche, de Roland Barthes et des «fragments» dans la culture occidentale.

Une homosexualité passée sous silence

Ces entretiens, qui ont pour titre Tout et rien d’autre, laissent pourtant un goût d’inachevé. Alors qu’elle insiste sur son inspiration autobiographique, sur l’influence qu’ont eue son cancer et la honte qu’elle en a ressentie, mais aussi sur la liberté qu’elle a trouvée en écrivant à la première personne, Susan Sontag se livre très peu sur sa sexualité et ne dit rien de son homosexualité. Plus étonnant encore : après avoir parlé d’une nuit d’amour et du petit-déjeuner qui suit, elle évoque un partenaire masculin. On sait par ailleurs, notamment grâce à ses journaux intimes (publiés en français chez Christian Bourgois), combien elle a pu mener une «existence libre» (l’expression est d’elle). Comme si, pour une lesbienne de la fin des années 70, même intellectuelle new-yorkaise, il restait impossible de parler de sa sexualité.

C’est l’explication que semble avancer l’écrivaine et il y a quelque chose de très sensible et de très puissant dans l’observation de cette fragilité : «si je me retrouve en train de prendre mon petit-déjeuner avec un imbécile, je me sens gênée – bien que je ne doive pas l’être – et je sens aussi (voilà qui fait partie du conditionnement féminin) que je l’ai exploité. Puis je pense : les hommes se comportent ainsi avec les femmes sans ressentir ce que je ressens, mais je ne peux m’empêcher de penser que je m’encanaille. (…) Je me sens mal et ne me l’avoue même pas».

 

Tout et rien d’autre de Susan Sontag et Jonathan Cott (éditions Flammarion)

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