Précipités # 1 : rencontre avec Georgia


«Précipités» est une mini-galerie de portraits tenue par Wendy Delorme au gré de ses rencontres. Pour cette première chronique, Wendy nous présente Georgia, plasticienne passionnée par l’esthétique punk.


 

Tragedy Georgia heterocliteGeorgia m’est apparue au petit matin, en T-shirt et pieds nus sur le carrelage de sa cuisine. Je dormais chez elle à Avignon durant le festival et la ville était dense, sèche, écrasée de soleil ; la peau de mon dos avait brûlé et j’avais dormi quelques heures entrecoupées des bruits nocturnes d’une ville rendue folle de chaleur et de foule. Un bol de café à la main, je rencontrais mon hôtesse, une amie d’amis chez qui j’avais atterri de nuit sans la connaître et qui, après les quelques phrases rituelles du faire-connaissance, ouvrait devant moi, sur la table de la cuisine, une grande boîte large et plate emplie d’images, après que j’aie demandé «et toi, tu fais quoi dans la vie ?» et qu’elle ait répondu «plasticienne».

Je tournais une à une les larges pages cartonnées avec la sensation de regarder des visages connus mais étrangers, de gens qu’on a déjà vus quelque part mais dont on ne sait plus le nom ni d’où on les connaît. Des photographies de photographies en noir et blanc, encollées, agrafées, comme cousues entre elles et fondues, transformant en kaléidoscope fou l’imagerie des corps de femmes exposés au tout-venant dans les vitrines de nos villes. Avec des affiches, des pages de magazines, de la peinture, des photocopies, des pochoirs, Georgia mixe les images comme on mixe une bande-son. La sienne est d’inspiration rageuse, punk, new wave, sensuelle, mystique, foutraque, et belle. «La chair y est l’élément récurrent», dit-elle. «J’ai toujours aimé le look punk, les crêtes, les épingles à nourrices, les agrafes, les clous, les pointes sur les fringues, les collants à trous, les tee-shirts customisés». Ses collages ressemblent aux anciennes pochettes des albums punks d’une époque que Georgia a vécue et dont les ados actuels sont nostalgiques sans l’avoir connue. Ses créations portent d’ailleurs souvent le titre de chansons ou de morceaux de cette période : Waiting For, Smells Like…, Romeo’s Distress, Sorry Angel, Cheree

Georgia a quitté l’école à seize ans parce qu’elle voulait devenir peintre. Entrée à dix-huit ans à l’École des Beaux-Arts de Caen, elle y tient juste un an parce que «trop déglingue à ce moment-là» mais reprend plus tard des études en Histoire de l’art, tout en s’attaquant au collage, puis à la vidéo et à la photo. Elle expose dans les squats, les bars, au Centre culturel libertaire et au Tri postal de Lille.

Georgia est aussi le personnage romanesque et éponyme d’une fiction qu’elle a inspirée. Ce roman d’amour du poète et romancier Julien Delmaire, paru aux éditions Grasset en 2013, puise dans l’atmosphère de ses créations. La Georgia qui se tient près de moi, devant la fenêtre entrouverte sur le jour brûlant d’Avignon, n’est pas exactement la Georgia fictionnelle du roman que son compagnon de vie lui a dédié. Mais cette Georgia qui a ouvert devant moi la boîte à images crée elle aussi une fiction, visuelle celle-ci. Georgia collectionne depuis très jeune les images de personnages et de corps en récupérant toutes sortes de magazines, des prospectus publicitaires, parfois des revues porno. Dans toutes ces images elle voit «l’omniprésence d’un corps féminin idéalisé, formaté, exploité et souvent ridicule». Elle tente alors de «sauver certaines images, tellement tristes dans leur banalité». Les lolitas, pin-up, baby dolls, starlettes du X ou icônes de mode deviennent «comme des poupées» entre ses doigts. «Après quelques découpes, quelques ajouts de peinture ou de grattages, les filles redeviennent à mon goût. Alors les visages muets, les corps fades, où l’on a souvent camouflé les défauts grâce à Photoshop, semblent s’exprimer, par des cris, des murmures, des soupirs. On peut dire que, dans l’espace lisse de la publicité, je veux faire jaillir la cicatrice, la blessure».

Les images de corps féminins lissés et commercialisés sont réinvesties. Georgia se les réapproprie en puisant de façon éclectique dans la pop culture et l’art religieux, créant de nouvelles icônes d’une frappante unité esthétique, qui fait de l’ensemble de ses compositions une émouvante mélopée visuelle.

www.lookatgeorgia.net

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