Alexandre Bergamini, portrait d’un auteur en quête


Alexandre Bergamini, auteur originaire du Bugey, publie Quelques roses sauvages (éditions Arléa), un récit singulier à l’ombre des barbelés, qui poursuit une œuvre où se conjuguent l’histoire, le voyage, la survie et l’homosexualité.


 

Alexandre Bergamini heteroclite

 

«Lorsque je veux aller mieux, je lis la littérature des camps». C’est une cure inattendue que présente à son auditoire Alexandre Bergamini. À la librairie Entre Parenthèses de Belley, capitale du Bugey qui l’a vu grandir, l’auteur raconte l’histoire de son dernier ouvrage, Quelques roses sauvages. Il y a quelque chose de sauvage, aussi, chez lui. Une présence directe, bien ancrée, des regards francs et une étrange densité. Nulle surprise lorsqu’on l’entend répondre, à une journaliste qui veut savoir s’il vit de son œuvre ou s’il est «auteur en dilettante», qu’il est tout le contraire d’un dilettante, qu’il consacre à l’écriture 90% de son temps. Pourtant, lorsqu’il raconte les camps transformés en circuits touristiques, ses rencontres avec les enfants des bourreaux, ses bras s’agitent, comme pour modeler l’invisible, trahissant une impatience, ou une intranquillité. Alexandre Bergamini n’est pas un romancier. Plutôt un scripteur, un témoin, prenant sa vie pour matière, depuis la disparition du frère jusqu’aux voyages en Inde, la traversée des océans, en passant par la découverte de sa séropositivité. Des expériences souvent solitaires qu’il écrit, retenant ainsi les visages, les sensations, les virtualités soupçonnées, les fantômes entraperçus. Le corpus qu’il constitue ainsi est, de son propre aveu, illisible à son état brut. L’auteur-voyageur découpe et retranche, colorise, calque et recadre. Les livres produits semblent répondre à une nécessité : fidèles et mystérieux, débordants et composés.

Histoire d’un échec

Quelques roses sauvages raconte l’enquête d’Alexandre Bergamini sur les traces d’une photographie. Au musée du mémorial de la Shoah à Berlin, il est captivé par l’image en noir et blanc de deux hommes élégants, laissant apparaître, cousus sur leurs chemises rayées, des matricules de déportés. Ils semblent amoureux. L’obsession se niche, il faut savoir. Archives de camps, recherche des rescapés, rencontre des descendants. La méthodologie et l’abnégation n’empêchent pas l’échec, qui apparaît peu à peu comme un enjeu narratif à part entière. Refoulements, contradictions, absence : la vérité de ces deux hommes – les épreuves et la survie – fuit à mesure qu’on la poursuit. Le récit assume ses lacunes comme sa subjectivité : ce sont les manques et parfois les mirages qui font de Quelques roses sauvages un témoignage utile et émouvant. Cette écriture du je, humble et mitée, tout l’inverse des instruments du démiurge, donne leur force aux écrits d’Alexandre Bergamini. Méfiant à l’égard du style, des ornements, il revendique une certaine violence à l’égard de ce qu’il nomme «langue de la nation». Pourtant, dans son entreprise de fouille, de forage du présent, il ne cesse d’aiguiser le langage, d’épurer ou de tordre la syntaxe. Il use aussi de vers, si nécessaire. Et le récit, toujours au flanc du réel, se fait lyrique ou théâtral, épique ou documentaire.

Les vivants et la mort

Dans Nue India, la lèpre semble menacer nos doigts sur les pages ; on peine à tourner celles de Retourner l’infâme, collées qu’elles sont par le sperme jaillissant à l’Étoile d’Or, cinéma porno marseillais. C’est parce que l’adresse est brutale, ou généreuse, que le récit nous touche. Littéralement. Toujours, dans ses livres, la survie ; ses raisons, ses conditions, son absurdité aussi, parfois. Les livres de Bergamini sont traversés par de nombreux corps, constitués mais aussi éclairés de désir et d’histoire. Se dessine un peuple, où les vivants et les morts se tiennent la main, dans des temps furtifs ou dilatés. Retourner l’infâme saisit quelques heures, Nue India et Cargo mélancolie plusieurs semaines ou mois, Sang damné toute une vie. Dans ce livre, la généalogie du caractère est le décor d’une histoire de survie. En 1997, Alexandre Bergamini est diagnostiqué séropositif. Il a vingt-neuf ans ; c’est le début des trithérapies. Mais encore faut-il «savoir pourquoi on se soigne, pour qui ? Quand il ne reste rien de soi qui vaille d’être sauvé ?». Comme dans tous ses récits, l’intime et le social sont finement tissés ; le sida est une affaire politique. Beaucoup l’avaient presque oublié. Pas un hasard si Bergamini cite parmi ses parents Genêt («ma tatie») et Pasolini. Alexandre Bergamini est un auteur sincère et entier. Des adjectifs certes convenus, mais qui signalent, par les temps qui courent, des œuvres rares. À lire comme le journal d’un ami inconnu.

 

Photo 1 : le camp de Sachsenhausen, où s’origine la quête du narrateur de Quelques roses sauvages © Alexandre Bergamini
Photo 2 : Alexandre Bergamini © DR

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