Katie Stelmanis

Katie Stelmanis (Austra) : “conserver l’éthique des riot grrrls”

À l’occasion de la sortie du troisième album d’Austra, Future Politics, rencontre avec sa leadeuse gothique, punk, queer et écolo, Katie Stelmanis, qui sera en concert à l’Épicerie moderne mercredi 12 avril.

Votre album précédent, Olympia, a été enregistré dans des conditions live, ce qui lui conférait une certaine chaleur et l’aspect d’un album de groupe, de bande de potes. Qu’en est-il de ce nouveau disque ?

Katie Stelmanis : Ce nouvel album, Future Politics, est plus proche des conditions d’enregistrement du premier, Feel It Break. Il a été écrit principalement à la maison, sur un ordinateur. J’ai enregistré les voix moi-même parce que j’avais eu une mauvaise expérience en studio avec un ingénieur du son. Cette fois-ci, j’ai vraiment voulu apprendre à le faire toute seule. J’ai donc réalisé ce nouveau disque avec plus d’indépendance et une volonté de faire ce que j’avais déjà fait sur le premier album, l’expérience en plus.

C’est donc une expérience plus personnelle ?

Katie Stelmanis : Oui, exactement. Enregistrer dans un studio, c’est très cher ! Du coup, cela me rendait nerveuse et je ne pensais qu’à être efficace tout le temps. Il y a aussi beaucoup de pression pour obtenir la bonne prise. Le faire par moi-même m’a permis de prendre le temps que je voulais et de me libérer de cette pression. Cela m’a aussi permis d’expérimenter davantage avec ma voix.

C’est avant tout une question de temps et d’argent ?

Katie Stelmanis : Oui, et puis il y avait cet ingénieur ! Je voulais enregistrer d’une certaine manière et lui me disait que non, je ne pouvais pas. Ça a amené à des disputes, c’est stupide. J’ai pu enregistrer ce nouvel album comme je l’entendais et j’aime comme il sonne. Donc je pense que j’avais raison !

On vous dit gothique. Le clip Utopia est très blanc, très épuré et mélancolique. Il est un peu goth malgré sa blancheur…

Katie Stelmanis : Oui, tout à fait. Avec Utopia, on a voulu créer l’environnement le plus stérile possible et prendre position sur ce que c’est de vivre dans une ville comme Toronto, ma ville, qui a été complètement placée sous la coupe de promoteurs immobiliers. Les villes sont victimes de leurs spéculations. Et vivre en ville revient aujourd’hui à vivre dans des cages à poules, construites par de grands groupes. Voilà pourquoi on a voulu créer cet environnement vide, isolé et stérile.

 

C’est donc un traitement politique ?

Katie Stelmanis : Je ne sais pas si c’est politique. On a juste voulu refléter un sentiment, ce que cela fait de vivre dans ces nouveaux immeubles insipides, tous identiques, faits à la chaîne.

Les paroles, dans ce nouvel album, sont néanmoins plus politiques que dans les précédents…

Katie Stelmanis : Oui, mais en même temps elles restent toujours très personnelles, parce que je pense que les chansons ne sont que le reflet de ce que je pense, de ce que ressens. C’est très commun de réagir émotionnellement aux informations que nous entendons, que nous subissons. Toutes ces informations sur le fait que nous sommes en train d’entrer dans la plus grande extinction de la vie sauvage depuis la disparition des dinosaures, ou quelque chose comme ça… Toutes ces informations sont très déprimantes et difficile à appréhender, à comprendre. C’est donc assez normal que quelqu’un propose de transposer ces informations en musique. Parce que la plupart des gens écrivent des chansons d’amour et les gens aiment les chansons sur l’amour, la mort, le sexe. Mais pourquoi on ne pourrait pas écrire des chansons sur les sentiments, les émotions qui surviennent lorsqu’on lit ces informations merdiques ?

Quel regard portez-vous sur le monde d’aujourd’hui ?

Katie Stelmanis : Whaou (rires)… Nous sommes effectivement dans un monde effrayant ! Je pense qu’il y a des mécontentements qui bouillonnent depuis très longtemps et qui commencent à déborder, de manière assez négative, et qui prennent la forme de gouvernements flippants. Mais je pense aussi que c’est tellement évident que les choses ont foiré que maintenant, on ne peut qu’essayer de voir comment les choses pourraient aller mieux.

Future Politics est un album qui aborde des sujets sérieux mais qui paraît paradoxalement plus clubbing que Feel It Break ou Olympia. Vous jouez des contrastes ?

Katie Stelmanis : Je n’ai jamais su ce qui fait qu’une chanson est plus orientée clubbing ou dance music qu’une autre. Vous dîtes que c’est le cas de cet album mais ça n’a jamais été intentionnel, c’est juste arrivé comme cela. Beaucoup d’autres personnes trouvent que Future Politics est plus calme que les deux précédents albums, donc je ne sais pas. Ça dépend sur quel genre de musique vous avez l’habitude de danser !

Vous avez une éducation musicale classique, vous étiez chanteuse d’opéra. Quelles traces reste-t-il de cette culture dans Austra ?

Katie Stelmanis : Lorsque j’étais au lycée, l’opéra était le genre musical le plus important pour moi. C’était obsessionnel, j’en écoutais tout le temps. Cela a énormément influencé ma manière de composer. Je suis incapable d’écrire si ce n’est pas super-dramatique. C’est sans doute parce que j’aimerais, dans le fond, écrire de la musique d’opéra ! Ma voix est plutôt éloignée de ce qu’elle était lorsque je chantais de l’opéra mais j’ai appris tellement sur elle, sur son fonctionnement… Je sais comment elle marche, plus que la plupart de mes pairs, que la plupart des chanteurs que je connais. C’est très intéressant d’être capable d’utiliser la voix comme un instrument.

Quels souvenirs gardez-vous du festival Loud and Proud ?

Katie Stelmanis : Je me souviens que c’était complètement fou, vraiment fun. On a joué à Paris et toute la salle se trémoussait… comme c’est souvent le cas à Paris ! On donne toujours de bons concerts en France.

Lorsque vous avez fait votre coming out à votre public, était-ce pour vous un geste militant ou normal, logique ?

Katie Stelmanis : Un peu des deux, je crois. C’était plutôt normal pour moi de le faire. Je n’ai jamais envisagé de ne pas le faire. Mais j’ai su aussi, consciemment, que faire mon coming out public voudrait probablement dire que les queers seraient plus attiré-e-s par mon groupe, parce que quand on est queer et qu’on découvre qu’un groupe l’est aussi, on a tout de suite envie d’écouter sa musique. Je me suis dit que nos concerts seraient peuplés de personnes queers si je leur disais que j’en étais aussi… Et ça a plutôt marché, donc c’était assez égoïste comme démarche ! (Rires)

Vous voyez-vous comme un icône gay ?

Katie Stelmanis : Non, je ne me sens pas une icône gay. Mais… Oui, c’est juste… Non. Non, en fait !

Une personnalité LGBT alors ?

Katie Stelmanis : Oui, plutôt. J’aime juste être queer et en parler. Je pense que c’est fun. Les gens sont souvent surpris quand je le dis, sans que je sache vraiment pourquoi. Peut-être parce que je ne suis pas très queer physiquement, que je suis identifiée comme femme ?

Que reste t-il de votre passé punk, riot grrrl, DIY ?

Katie Stelmanis : Je pense que les riot grrrls sont vraiment similaires aux punks… J’essaye de faire tout mon possible pour qu’il y ait du punk dans tout ce que j’entreprends. Je ne sais pas si c’est toujours un succès. Mais il me semble que c’est nécessaire d’essayer, car si on cesse d’être punk, on se conforme à l’establishment. Je pense que j’essayerai toujours de conserver l’éthique des riot grrrls.

Le queer est-il le nouveau punk ?

Katie Stelmanis : Peut-être. Je n’y avais jamais vraiment pensé. Le punk tel qu’on le connaît n’est plus punk aujourd’hui. Ce n’est plus super-subversif de se définir ainsi. Mais être punk, cela peut s’exprimer par la diversité des genres, par le queer. Les jeunes aujourd’hui embrassent la cause du genre bien plus que moi lorsque j’avais dix-neuf ans. Il paraît que 15% des lycéen-ne-s se définissent comme bisexuel-le-s. Les limites sont sans cesse repoussées et c’est ça qui est super.

 

Future Politics d’Austra (Domino Record)
Sortie le 20 janvier
En concert mercredi 12 avril à l’Épicerie moderne, place René Lescot-Feyzin / 04.72.89.98.70 / www.epiceriemoderne.com

Traduction : Stéphane Caruana

Photos © Renata Raksha

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