Bret Easton Ellis edito

Édito #144 : Moins que zéro

À la lecture de l’interview de Bret Easton Ellis accordée au New Yorker le 11 avril dernier, dans le cadre de la promotion de son premier ouvrage de non-fiction, White, qui sort en France aux éditions Robert Laffont le 2 mai, une question nous brûle les lèvres : a-t-on définitivement perdu l’auteur d’American Psycho ?

Celui qui s’est illustré par sa critique acerbe et désenchantée de la société capitaliste américaine semble en effet succomber aux théories les plus droitières. Incapable de prendre clairement position face aux propos racistes de Trump, ambigu sur ses rapports avec le mouvement #MeToo et les accusations d’agressions sexuelles qui pèsent sur le Président des États-Unis, Ellis n’hésite pas à prendre la défense de Roseanne Barr (qui a vu sa série annulée suite à un tweet raciste à l’encontre de Valerie Jarret, ancienne conseillère de Barack Obama) ou à reprocher à la gauche américaine de ne se focaliser que sur la défense des droits des minorités. Acculé par le journaliste Isaac Chotiner, l’auteur des Lois de l’attraction tente de se justifier en prétendant ne prêter que peu d’intérêt à la politique, lui préférant la fiction. Cette déclaration ne manque pas d’ironie, alors même qu’il publie un ouvrage sur la vie politique américaine et tant l’interview apparaît comme un mauvais cauchemar tout droit sorti des romans d’Ellis. 

Les réponses confuses, approximatives et à l’emporte-pièce de l’écrivain rappellent en effet les lignes de dialogues de Victor Ward, le vaniteux et surcoké protagoniste de Glamorama, alors que le contenu même de son propos semble épouser les thèses de Patrick Bateman, qu’il paraissait pourtant réprouver dans American Psycho. Tout se déroule comme si Bret Easton Ellis se transformait sous nos yeux en personnage de Bret Easton Ellis. Au regard de l’acuité dont l’écrivain a toujours fait preuve, on ne peut s’empêcher de se demander s’il s’agit d’une performance littéraire cherchant à troubler la frontière entre réalité et fiction qu’Ellis aurait fomenté dans les effluves ambrées du bar du Château Marmont, s’il s’agit plus prosaïquement d’un coup de com’ pour booster les ventes de White ou bien si les sirènes du déclinisme ont eu raison de l’auteur de Moins que zéro. Malheureusement, ce sont bien les deux dernières hypothèses qui semblent les plus probables.  

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