chroniques lyonnaises du presque futur 5

Chroniques lyonnaises du presque futur #5

L’année a commencé par une série d’évènements annonciateurs d’un avenir ronronnant.

Au petit matin du premier janvier, en rentrant chez moi (dans un état assez lamentable je l’avoue), je tombe nez à nez avec… une souris. J’identifie le mammifère rongeur, alors même que je n’en ai jamais vu en vrai. Plus étonnant encore : en entendant ses pattes griffer le carrelage, tout mon système se bloque. Il se bloque de manière irrationnelle. Puis le bazar se remet en marche, tandis que dans mon tissu neuronal le mot « error » clignote en rouge.

Perché·e sur une chaise à 5h32 du matin, je pense : error ancestrale, ces connards de concepteurs m’ont implanté dans le ciboulot un engrenage vieux de mille ans. La peur de la petite bête. Super. Je subis une distorsion partielle des possibilités de jugement appliquées au monde extérieur. Une série d’images aléatoires défile dans mon cerveau. Je dis stop et m’apparaît alors clairement la solution : un gros truc à poil roux qui fait un bruit de ventilateur quand il est content (un peu comme moi). Il me le faut.

Le 1er jour du calendrier solaire étant consacré à la gueule de bois, j’attends le surlendemain pour partir en quête de ma vision. Internet m’oriente vers la Société Protectrice des Animaux. Là-bas, un employé me pointe du doigt une bête de 4 kilos qui roupille dans un coin. Il précise qu’il me faut quelques accessoires : croquettes, panier, litière. Je prends le tout.

Je fais visiter mon appartement au nouveau venu qui s’est réveillé en me griffant l’aluminium. Les règles à respecter lui sont exposées sommairement puisque je ne possède pas le fichier de son langage dans mon lexique interne. J’observe son petit manège : il renifle dans les coins, ses moustaches blanches se tendent et se relâchent (elles bandent ?) et ses oreilles pivotent avec des mouvements charmants. Il émet un cri toutes les 12 heures environ pour me signifier, je le comprends vite, qu’il a faim. Parfois, sans crier gare, il sort sa langue et se lèche énergiquement l’anus puis les interstices entre les coussinets. Fascinant.

Je me pose la question : a-t-il conscience que je ne suis pas humain·e ? Quand il vient coller son gros ventre doux à ma face en vibrant à basse amplitude, on ne dirait pas. Il a l’air de m’accepter comme je suis. Il a l’air de vouloir se connecter à ma propre vibration. Cela me touche. J’aime beaucoup les humains, mais ils sont souvent verrouillés à l’échange spontané.

L’enchainement des évènements me paraît merveilleux : grâce à la ridicule peur du petit machin que mange le gros, j’ai trouvé un compagnon. Je recharge mes batteries en pensant : le futur, quand tu veux, je ne suis plus seul·e.


Polaire, reporter humanoïde

Janvier 2020

 

Illustration © Cyril Vieira Da Silva

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