Reine du XVIIe siècle, Christine de Suède abdiqua son trône pour devenir l’une des principales protectrices des arts et lettres de la Rome baroque.

Queer Christine, reine de Suède du XVIIe

Alors que le TNP de Villeurbanne accueille Dissection d’une chute de neige, pièce écrite par Sara Stridsberg d’après la vie de Christine de Suède, penchons-nous sur le destin et la personnalité hors-norme de cette reine du XVIIe siècle qui abdiqua son trône pour devenir l’une des principales protectrices des arts et lettres de la Rome baroque.

C’est un incroyable souffle de liberté et d’émancipation qui semble avoir guidé la vie de Christine de Suède. Enfant unique de Gustave II Adolphe, elle est élevée « comme un garçon » en vue de son accession au trône de Suède qui intervient en 1632, à la mort de son père, alors qu’elle est âgée de six ans seulement. Érudite, on lui prête de parler onze langues et de s’intéresser aussi bien aux arts qu’aux sciences. Proche de Descartes, elle entreprend de faire de Stockholm la nouvelle Athènes et d’installer durablement la paix. Mais sa gestion calamiteuse des comptes publics et son refus catégorique de se marier et d’avoir une descendance la pousse à abdiquer en 1654. Elle souhaite s’installer à Rome mais, en fine stratège, elle sait qu’il lui faut donner des gages au pape. Elle se convertit donc au catholicisme, de manière confidentielle à Bruxelles puis de manière publique à Innsbruck, ce qui lui permet d’être accueillie de manière fastueuse par Alexandre VII à Rome le 20 décembre 1655. 

Christine de Suède

La papauté, en prise avec le protestantisme, accueille comme une victoire symbolique la conversion de cette reine célibataire et « vierge », ce qu’on lui reprochait justement dans son pays natal.  La famille Barberini, qui cherche à conserver les bonnes grâces du pape, organise le 28 février 1656, un opulent carrousel en l’honneur de Christine dans la cour de son palais du centre historique de Rome, qui fera longtemps figure de modèle absolu de la fête baroque romaine. Rapidement cependant, les manières brusques de la monarque suédoise choquent ainsi que la transformation du Palais Farnese, sa première résidence romaine, en une salle de tripots fréquentée par des hommes de mains et des castrats que l’on prostitue. 

Elle finit néanmoins par s’installer au Riario, dans le quartier du Trastevere, le long du Tibre au pied du Mont Janicule. C’est dans cette propriété qu’elle entretient sa vie durant les artistes de la Rome baroque, prenant notamment sous son aile le compositeur Alessandro Scarlati, le violoniste Arcangelo Corelli et l’organiste Bernardo Pasquini. Elle obtient également l’autorisation d’ouvrir le premier théâtre public romain et crée l’Académie de l’Arcadie, société savante et artistique qui lui survivra. Enfin, sous le règne du très austère Innoncent XI, qui a notamment interdit aux femmes de jouer sur les scènes romaines, condamné les spectacles publics payants et prohibé certains vêtements féminins jugés trop décolletés, Christine de Suède ne manque pas de se rendre avec sa suite à la messe au Vatican affublée de vêtements parodiques appelés les « Innoncentianes ». 

Trouble dans le genre ?

Femme brillante et libre en décalage avec son temps, Christine de Suède a été la cible d’attaques concernant sa sexualité ou son genre bien avant que Greta Garbo n’incarne son personnage dans le film La Reine Christine (1933). La rumeur veut qu’à sa naissance, on ait annoncé au roi qu’il avait un fils avant de démentir l’information. Dans son ouvrage Voyage dans la Rome baroque, Patrick Barbier cite une anecdote où ayant basculé avec sa voiture à cheval, Christine se retrouve les jupons relevés et lance à ses serviteurs qui n’osent, par pudeur, intervenir : «  Cela ne me dérange nullement d’être vue telle que je suis, ni homme ni hermaphrodite, comme on veut bien le laisser entendre dans la bonne société. », faisant référence aux rumeurs qui couraient alors à Rome sur son genre. Ces rumeurs censées discréditées une femme trop libre ne sont cependant pas l’apanage du XVIIe siècle puisqu’en 1965, on ira jusqu’à ouvrir son tombeau pour examiner sa dépouille couverte d’un masque d’argent qui repose à Saint-Pierre-de-Rome.

Sans doute bisexuelle, impressionnante d’érudition, refusant l’arbitraire et mettant son argent à profit pour défendre les artistes de son temps, Christine de Suède est certainement une figure historique queer avant la lettre qui mérite d’être connue.

À voir

Dissection d’une chute de neige, du 25 mars au 1er avril 2022 au TNP, 8 place Lazare-Goujon-Villeurbanne.

À lire

Voyage dans la Rome baroque de Patrick Barbier (Grasset). En librairies.

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