Polyamour

Polyamour : on répond aux clichés

Angie Triolo est comédien·ne, danseur·euse, drag king et militant·e. Depuis septembre 2021, iel organise chaque mois à Lyon et Montpellier des cafés polyamoureux, qui proposent “un espace safe pour débattre et échanger sur la non-monogamie” en comité réduit. Au sein même de la communauté queer, le polyamour reste une orientation relationnelle méconnue, sujette à certaines discriminations. Pour aller au-delà des stéréotypes qui lui sont associés, Angie Triolo a accepté de réaliser avec Hétéroclite un format pédagogique « Un cliché / une réponse », en répondant aux principales remarques qu’on lui adresse.

“On pense que la jalousie est interdite en polyamour”

« Moi je ne pourrais pas, je ne sais pas comment tu fais »

Angie Triolo : C’est la phrase qu’on me répond le plus. Je ne vous demande pas si vous pourriez, ni votre avis. Je vous fais part de quelque chose qui m’appartient, sur lequel vous portez un jugement de valeur en ramenant ça à vous. J’ai l’impression que ces gens-là ne se sont juste pas posés la question de la nature de la relation dans laquelle ils sont. Et donc ils se disent : « Mince, une autre manière de relationner est possible ». Alors directement, frontalement, c’est « non, je ne pourrais pas ». C’est presque défensif, comme s’ils voulaient se protéger. 

C’est comme si on te disait : « Ah tu es lesbienne, vraiment je ne pourrais pas, je suis trop hétéro désolée ». C’est bien de ramener ce discours à d’autres minorités, pour se rendre compte de comment on aurait réagi.

Moi, l’exclusivité je ne pourrais pas… Mais je ne le dis pas.  Alors que je le pense.

« La jalousie, c’est le plus vieux sentiment du monde »

On pense que la jalousie est interdite en polyamour. Pendant longtemps, j’ai renié ce sentiment sur moi et sur les autres. Quand mes partenaires en ressentaient, je le prenais mal, je me disais qu’iels n’étaient pas assez déconstruit·es. Mais la jalousie est un sentiment, qu’il est valide de ressentir. Il faut juste savoir l’accompagner, savoir quoi en faire et connaître ses limites. Ce qui m’a aidé·e, c’est d’en parler dès que j’en ressentais. De dire à ma/mon partenaire : « Bon, je suis insécure par rapport à tel événement ou telle personne. Pourquoi ai-je ressenti cette insécurité à ce moment-là ? Qu’est-ce que j’aurais aimé qu’il se passe ? ». Souvent, la jalousie est quelque chose de nourri. En la gérant directement à la source, elle disparaît rapidement, on ne la laisse pas grandir. 

« Je n’aurais pas envie de voir la personne que j’aime avec quelqu’un d’autre »

Je n’aime pas le mot « règle », donc je répondrai que ce sont justement les « modalités » que tu mets en place avec ta/ton partenaire. Si tu définis ce qui est ok de faire devant toi, et ce qui ne l’est pas, il n’y aura pas de problème. Surtout, ces modalités peuvent changer, elles ne sont pas fixes. 

« C’est de l’infidélité cachée »

Ça peut, car il y a des gens qui sont mauvais partout, dans tous types de relation. Il y a des « fake polyamoureux·ses » qui l’utilisent à mauvais escient. Mais pour les gens safe, le polyamour se fait dans le consentement de tous·tes. 

En polyamour, l’infidélité peut être le fait de ne pas respecter les modalités que tu as fixées avec ta/ton partenaire. Si j’ai comme modalité « Ce soir, on n’embrasse personne » et que je le fais quand même, alors je suis infidèle. En polyamour, la fidélité revient à respecter un contrat fixé en consensus, c’est donc plus large que juste « aller voir ailleurs ».

“Peut-être que vous ne le ressentez pas, mais ça existe”

« Il y en a forcément un·e qui souffre, c’est toxique »

Il y a des gens qui souffrent dans tous types de relations. Ce n’est pas nécessairement lié au polyamour. S’il y a des personnes qui souffrent dans des relations exclusives, alors que tout ce cadre est déjà posé, c’est peut-être que ce n’est pas le modèle relationnel en lui-même qui en est la cause. C’est lié à la relation de manière plus globale, il y a quelque chose à changer, à mettre en place.

Après, quand tu commences à relationner dans un schéma polyamoureux, tu ne sais pas forcément comment faire. On n’a pas de modèle, il faut littéralement apprendre à relationner, car personne ne nous l’a montré. Alors qu’on nous a beaucoup expliqué comment relationner de manière monogame. Au début, on ne sait pas encore ce qu’on veut ou ne veut pas, ni comment on doit discuter, gérer nos relations. Moi j’en ai fait des bourdes. Maintenant je me connais, je connais mes envies. On évolue tous les jours.

« J’ai besoin de me sentir unique »

Je me sens d’autant plus unique en relation non-monogame, parce que les personnes restent avec moi alors qu’elles ont d’autres relations. De mon côté, j’aime bien vivre des choses complètement différentes avec mes partenaires. J’ai un·e partenaire avec qui j’ai envie de ne faire que des roadtrips, de partir en vacances. Un·e autre avec qui je vais plutôt avoir de longues discussions et regarder des séries. Pour les personnes avec qui j’ai une sexualité, j’aime bien cultiver des sexualités différentes. Par exemple, je vais faire du shibari, mais seulement avec un·e d’entre elles·eux, pour cultiver une unicité. Les personnes sont au courant, donc ça crée un truc assez chouette de « Qu’est-ce qu’on va faire pour que notre sexualité et/ou notre relation soient uniques ? »

« Le vrai amour, on ne peut l’avoir que pour une personne. Tu en aimes forcément un·e plus que les autres ».

Les personnes qui affirment ça sont des personnes qui ne vivent pas le sentiment polyamoureux. C’est bizarre de dévaloriser un sentiment et une émotion au prétexte qu’on ne la vit pas. Imaginez encore une fois, une personne hétéro qui, donc, ne ressent pas d’attirance homo. Ce qu’elle ne vit pas est illégitime d’exister ? 

Oui, c’est possible d’avoir un coeur « qui ne se partage pas », je ne dévalorise pas la monogamie et le monoamour. Mais il ne faut pas qu’à l’inverse, on dévalorise le fait d’aimer plusieurs personnes. Peut-être que vous ne le ressentez pas, mais ça existe. 

“La communauté queer lutte contre tout type d’oppression liées au système patriarcal, et la non-monogamie fait partie des choses qui le déconstruisent.”

« C’est viable parce que tu es jeune, mais comment tu vas faire quand tu voudras construire une famille ? »

Qu’est-ce que c’est, « une famille » ? J’ai l’impression d’en avoir déjà une. Si vous parlez d’avoir des enfants, je n’ai pour l’instant pas envie d’en avoir à moi. Ça peut changer. J’aimerais bien être co-parent, c’est-à-dire qu’un·e de mes partenaires ait des enfants avec quelqu’un d’autre, et que je sois initié·e dans la vie de ces enfants. Comme un beau-père ou une tante. Je n’ai pas envie de fonder une famille au sens classique, et je pense être polyamoureux·se toute ma vie. Je le sens vraiment comme une attirance relationnelle au même titre que ma pansexualité.

Aussi, tout est adaptable en polyamour. Vivre avec un·e de ses partenaires en en ayant d’autres, vivre avec plusieurs de ses partenaires, vivre seul·e, faire des enfants avec un·e ou plusieurs partenaires. Au niveau juridique, on peut toujours dévier le système.

« Ça dé-règlerait l’enfant d’avoir autant de figures parentales » 

L’enfant a un entourage composé de plein de gens, il y a déjà plusieurs personnes dans sa famille : des tantes, des oncles… Il y a tellement de constructions familiales différentes, de familles recomposées, dans lesquelles les parents divorcent et où l’enfant se retrouve avec quatre parents et beaux-parents. Là, personne ne dit rien. À partir du moment où ces quatre parents s’aiment entre eux, ça fait juste davantage d’amour, il peut même y avoir moins de conflits. 

Donc je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas y avoir plusieurs parents et co-parents. 

Ce n’est pas à la communauté queer que je vais apprendre ça. C’est la même chose que de dire « Tu as deux papas, c’est pas normal ». Le principal, c’est que l’enfant soit aimé. 

« Vous faîtes des partouzes ? »

Pour finir, la sexualité est la plus grosse stigmatisation. Relationner avec plusieurs personnes est assimilé à s’amuser, à avoir des sex friends. Dans le polyamour il y a le mot « amour ». Je n’ai jamais dit que j’avais une sexualité avec des gens. D’ailleurs, la communauté asexuelle est très nombreuse dans la communauté polyamoureuse. Plusieurs de mes partenaires le sont.

« Les personnes cisgenres hétérosexuelles prétendent être queers sous couvert du polyamour ».

Pourquoi une personne irait dire qu’elle fait partie d’une minorité si ce n’est pas le cas ? Avec toute la souffrance, les questionnements et la confrontation au social que ça engendre. Effectivement, les personnes cis-het qui sont polyamoureuses ne font pas partie de la communauté LGBT+, mais de la communauté queer. Ce sont deux choses différentes, puisque « queer » englobe plus d’identités et d’orientation sexuelles et relationnelles. La communauté queer lutte contre tout type d’oppression liées au système patriarcal, et la non-monogamie fait partie des choses qui le déconstruisent. Être queer n’est pas systématiquement lié à l’identité de genre ou l’orientation sexuelle. La preuve, tu peux être asexuel, intersex et être hétéro. On se doit d’être une communauté bienveillante.

Les cafés polyamoureux que j’anime sont en mixité. Je comprends pourquoi il existe des cafés en non-mixité, mais j’ai envie de faire les miens en mixité, parce que le polyamour est pour tout le monde, même pour les personnes cis-het. Après, il y a en général une majorité de personnes queers. Peut-être parce que quand tu es queer, tu es davantage dans la démarche de déconstruire le genre, le patriarcat et les relations.

Face au constat de l’absence de modèles, et en bonus de ce format pédagogique, Hétéroclite a proposé à Angie Triolo de donner quelques conseils pratiques destinés aux personnes qui sont, ou souhaiteraient être, dans des schémas polyamoureux. Voici une sélection de questionnements liés à des situations de relations plurielles.

“Malheureusement, il ne suffit pas d’aimer la personne, il faut aussi être en accord avec son mode relationnel”

« Ce soir, j’ai besoin de ma/mon partenaire et iel passe la soirée chez une autre de ses relations »

Angie Triolo : Je dirais qu’il faut arrêter de sacraliser le fait que cette personne est ta/ton partenaire. Il faut le/la voir comme une personne qui fait partie de ta vie, et qui n’est pas toujours disponible, ou émotionnellement disposée à entendre ton problème. Tu peux essayer d’imaginer : Comment est-ce que je ferais si j’avais besoin d’une amie qui n’est pas disponible, ou que ma partenaire était en rendez-vous à ce moment-là ?

La personne pourra être là pour toi à un autre moment, et tu peux en attendant gérer ça seul·e, ou parler à quelqu’un d’autre. 

Être en non-monogamie, c’est aussi faire des concessions, et avoir conscience que l’autre est une personne plurielle. On ne peut pas se dire « ce sera toujours comme je le voudrai », parce qu’il y a plusieurs vies à prendre en compte. Par exemple, si jamais tu es censé·e voir un·e de tes partenaires et qu’un·e autre lui fait une surprise, peut-être que tu seras frustré·e sur le moment, mais ça fait partie du jeu. Vous aurez votre moment à vous plus tard. 

“Quand iel est avec quelqu’un d’autre, j’ai l’impression que je ne lui suffis pas”

Si ça te fait autant de mal, tu peux être en couple exclusif. Tu n’as pas à t’infliger une relation plurielle, si elle ne te satisfait pas. 

Ça peut aussi être de l’exclusivité intériorisée. Quand tu as vécu dans un système où tu n’as que la monogamie, et que tu arrives dans un autre schéma, tu as forcément des réflexes intériorisés. De la même manière que quand je me suis mis·e à relationner avec des femmes, j’avais encore des réflexes intériorisés de relations hétéros. Forcément, il faut les déconstruire, mais ça prend du temps. Ce n’est pas parce que tu commences à être en non-monogamie qu’il faut être déconstruit sur tout, tout de suite. Aujourd’hui encore, il y a des choses que je ne sais pas gérer.

Dans ce cas présent, il y a une insécurité à combler. Tu peux essayer de trouver des choses qui te rendent plus sécure, qui te rassurent, et les mettre en place. Ça peut être de dire « J’ai besoin d’être rassuré·e, j’ai l’impression que quand tu vas voir cette personne, je n’existe plus ». Et par exemple, la personne peut t’écrire quelque chose, un mot ou un message qui te rassure, que tu pourras lire quand elle sera avec quelqu’un d’autre.

“Comment gérer l’euphorie de début de relation que ressent ma/mon partenaire vis-à-vis de quelqu’un d’autre ?”

Ça s’appelle l’ENR, “Énergie Nouvelle Relation”, ou “Euphorie Nouvelle Relation”. Quand on a des partenaires en ENR, on sent parfois que ça change un peu la relation. Mais souvent, ça revient quand ça se pose un peu. 

Si ma/mon partenaire est en ENR, je n’ai pas envie de lui dire « Oh tu me délaisses… » alors qu’iel est super bien. Je pense que cette personne reviendra vers moi quand ça se sera un peu stabilisé. Après, il y a délaisser et délaisser, il faut aussi qu’en face, ta/ton partenaire gère ce sentiment d’euphorie. Parce que quand il est trop intense, trop extrême, ce n’est pas bon.

“Comment faire lorsqu’on est polyamoureux·se et qu’on tombe amoureux·se d’une personne monogame ?”

Il y a des gens qui vont relationner avec toi pour ce que tu es, mais il faut aussi relationner avec toi pour ton mode relationnel. C’est très important. Malheureusement, il ne suffit pas d’aimer la personne, il faut aussi être en accord avec son mode relationnel. 

Je pense que c’est possible de relationner avec quelqu’un qui est mono-amoureux mais non-monogame. C’est-à-dire qui a des relations avec plusieurs personnes, mais qui ne ressent pas le sentiment de polyamour. Par exemple, cette personne voit d’autres gens, mais ne peut aimer que toi. Ça devient plus compliqué quand tu es avec une personne mono-amoureuse et exclusive, qui donc ne veut relationner qu’avec toi et personne d’autre. 

Moi, le fait que je sois polyamoureux·se est établi depuis longtemps, c’est écrit sur mon front. Donc les personnes savent où elles mettent les pieds. Il y a une personne que j’aime de tout mon coeur, mais ce n’est pas possible. On est sorti·es quinze fois ensemble, elle ne supporte pas le polyamour. Elle m’a connue quand j’étais déjà dans ce système, mais il y avait une connexion tellement forte… Donc on force puisqu’on s’aime. Quand on est ensemble, c’est bien, mais quand on pense à ce qu’il y a autour, ce n’est pas vivable. 

Je pense que ça peut être possible de relationner avec une personne monogame, mais ça dépend comment elle le vit. Tu peux faire des concessions, mais aussi avoir des limites. Si votre équilibre va au-delà des limites de chacun·e, ça peut devenir malsain. Par exemple, moi je peux faire la concession de ne pas trop parler de mes autres relations, juste de dire ce qu’il en est. Ma limite par contre, est que je ne peux pas ne pas en parler du tout. 

“En non-monogamie, la temporalité est plus étirée, donc on peut vraiment prendre le temps de construire des relations. “

“Comment ouvrir son couple, quand on a commencé en relation exclusive ?” 

Les gens se mettent beaucoup de pression pour que ça fonctionne directement. Il faut y aller doucement, petit à petit. Ce n’est pas rien d’ouvrir une relation qui a été construite sur un système monogame établi depuis longtemps. La dernière fois, à un café polyamoureux, il y avait deux femmes mariées depuis douze ans, qui voulaient ouvrir leur relation, et qui sont venues pour ça. Je pense que dans ce type de relation il ne faut pas être pressé. Ça fait déjà douze ans, autant faire les choses doucement !

Quand on ouvre une relation, c’est ok de faire mal quelque chose, et de dire « Je suis désolé·e, là j’ai fait n’importe quoi, qu’est-ce qu’on peut faire pour que ça ne se reproduise pas ? » C’est pas « Tu as fait n’importe quoi, donc je te quitte ». C’est plutôt « Je n’ai pas compris comment je devais gérer à ce moment-là » et on trouve une solution ensemble. En non-monogamie, la temporalité est plus étirée, donc on peut vraiment prendre le temps de construire des relations. 

“Je suis heureux·se d’être dans mon schéma polyamoureux, mais mon entourage familial ne comprend pas mon orientation relationnelle. Comment faire pour concilier mes relations aux moments « officiels » classiques voulus par ma famille, comme Noël ?”

C’est très ancré de se dire « Au bout d’un moment, mes parents vont rencontrer ma/mon partenaire, iel va venir à Noël… » Si ton entourage n’est pas safe à ce sujet, tu peux soit ne jamais emmener tes partenaires, soit te confronter à leur réaction. Dans mon entourage, certains ont normalisé la chose en me disant « Avec quel·le partenaire tu veux venir à cet évènement? ». D’autres ne l’acceptent pas, et il faut aussi se protéger. Parfois, c’est ok de dire que tu n’as qu’un·e seul·e partenaire alors que ce n’est pas le cas, et de ne présenter qu’iel à ta famille. J’ai fait ça pendant longtemps. 

Mais protège-toi, ne change pas ton mode relationnel pour les autres. Déjà, c’est ton intimité, tu n’es pas obligé·e de faire connaître tes relations à ta famille. Moi, il y a plein de moments familiaux que j’ai envie de passer tout·e seul·e. Et aussi, ce n’est pas parce que ces gens font partie de ta famille de sang que tu dois entretenir quelque chose. Tu peux avoir des contraintes autres, faisant que tu es obligé·e de nourrir une relation, mais tu peux aussi t’éloigner de gens qui ne te comprennent pas et ne t’acceptent pas comme tu es.

Pour aller plus loin :

Cafés polyamoureux animés par Angie Triolo dès septembre aux Sales Gosses Ink, 11 rue de la Vieille-Lyon 1. 

Informations et réservations par mail à cafepoly@outlook.fr ainsi que sur le compte Instagram @angietrlo.

Illustration par Annabel Trotignon @Troty

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