Dodo

Tzef Montana dans Dodo : représentations trans et oiseau rare

Dodo suit l’histoire d’une famille bourgeoise au bord de la ruine qui, préparant le mariage de leur fille avec un riche héritier dans une luxueuse villa athénienne, est interrompue par l’irruption d’un dodo, oiseau disparu il y a 300 ans. Cette année, Dodo était en compétition pour la Queer Palm du Festival de Cannes, où Hétéroclite est allé rencontrer son réalisateur Panos Koutras, ainsi qu’une des actrices du film, Tzef Montana, pour discuter représentations trans au cinéma.

“Le dodo est un animal très queer”

Pouvez-vous vous présenter ?

Panos H. Koutras : Je m’appelle Panos Koutras, je suis réalisateur, et Dodo est mon 5ème film. Dans mes films, j’aborde toujours des thématiques queers, je suis gay donc c’est un peu inévitable, parce que c’est mon monde, c’est moi. Au niveau de mes influences, j’ai grandi dans les années 70, et j’étais un grand fan de John Waters et Andy Warhol. La trilogie de Warhol, Pink Flamingos de John Waters… Pour moi, il n’y a rien de plus queer qui soit.

Tzef Montana : Je suis Tzef, activiste, autrice et actrice. Je milite beaucoup pour la société grecque et ma communauté, notamment dans les politiques du genre. J’ai écrit un livre sur l’expérience de la transidentité en Grèce, avec l’idée de parler aux Grecs, et d’être lue par des jeunes et leurs parents. Il y a un an seulement, je suis arrivée à la destination dont j’ai toujours rêvé, le cinéma. 

En fond de son histoire familiale, Dodo aborde des thématiques comme le travail du sexe et l’immigration, tout en livrant une représentation de diverses sexualités et identités queers.

Panos H. Koutras : Oui, mais ce n’est pas une fresque de la société athénienne, c’est une représentation de certaines thématiques qui m’importent personnellement. Les enfants d’immigrés de deuxième génération, je trouve que c’est le grand sujet de notre époque. Et sur les sexualités, pour moi ce n’est plus un sujet. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il y ait une fluidité des genres et des sexualités sans que ce soit une question. Et puis, le dodo est un oiseau queer.

Le dodo est queer ?

Le dodo est un animal très queer. Il est bizarre, différent, on ne le connaît pas, il représente quelque chose d’une autre planète. C’est aussi le symbole de l’animal qui a été intégralement exterminé par l’homme. C’est à dire que les hommes ont tué tous les dodos, ils n’ont pas disparu par une évolution naturelle. Ce que je trouve dramatique, et en même temps très actuel, il y a des leçons à tirer. Et pas seulement d’un point de vue écologique : l’homme est capable d’exterminer des espèces entières, et d’autres hommes.

“je mets beaucoup d’énergie dans une mission : m’assurer qu’on créée de nouvelles représentations, dans des binarités qui ne sont pas strictes”

Vous dîtes que la sexualité et le genre ne sont pas un sujet dans le film. Pourtant, Eva, jouée par Tzef, est la seule qui se fait insulter au nom de sa transidentité.

Panos H. Koutras : Quand Alexis insulte Eva, ce n’est pas vraiment transphobe, il parle plutôt d’une « femme pute », parce ce qu’elle est travailleuse du sexe, et lui, il est amoureux d’elle.

Tzef Montana : Sur les insultes, on a enlevé quelques trucs du scénario qui me paraissaient en trop. Ça m’importait, car je souhaitais offrir de nouveaux regards. Mais la réalité est qu’il y a beaucoup de haine et de rejet autour des personnes trans. Ça aurait été complètement irréaliste qu’on prétende que cela n’existe pas en Grèce. 

Dans le film, Alexis insulte Eva alors que c’est son ex. Et c’est quelque chose auquel je fais face dans ma vie. Il y a beaucoup d’hommes qui font des remarques transphobes alors qu’ils ont eu des relations avec ces femmes. Ils ne savent pas comment communiquer leur amour, donc ils le transforment en haine.

Tzef, comment était cette première expérience d’actrice ?

J’avais déjà beaucoup travaillé dans l’industrie du cinéma en tant que manager, agente, et mon expérience de mannequin m’a permise de me sentir à l’aise sur un tournage. Par contre, être devant une caméra avec un rôle important, ça, c’était une première. Mais je connaissais Panos, j’avais joué comme extra dans son premier film, Strella, quand j’avais 17 ans. 

Vous dîtes qu’avec ce film, vous avez souhaité créer de nouveaux regards.

Je ne suis pas une actrice qui est passée par des études de théâtre. Par contre, je mets beaucoup d’énergie dans une mission : m’assurer qu’on créée de nouvelles représentations, dans des binarités qui ne sont pas strictes. Et c’est quelque chose que je voulais offrir dans ce film et à cette équipe. M’assurer que Dodo ne représenterait pas quelque chose d’inauthentique, de sexiste, ou qui ne nous aide pas à vivre une vie meilleure et durable. On a travaillé ensemble avec Panos sur des petits détails, qui sont en fait très importants au cinéma. 

“[être trans], c’est une expérience que tu portes en toi, et que tu délivres simplement en étant

Quel genre de détails ?

Je suis trans mais je ne prends pas d’hormones, je n’ai pas d’implants, donc j’ai par exemple un buste plat. Je voulais m’assurer qu’on montre ce buste plat, pour qu’on comprenne que ça ne fait pas moins de moi une femme. Ou encore m’assurer que ma voix ne serait pas trop aigüe. J’ai une voix grave dans la vraie vie, donc je veux une voix grave dans ce film. Ça permet de montrer que je n’ai pas besoin d’être d’une certaine façon pour être une femme. C’est ça l’auto-détermination. 

Il y a aussi la manière dont j’ai approché le rôle. Parfois, on nous fait rejouer des stéréotypes au cinéma. Je ne voulais pas être la femme méditerranéenne comme Malèna ou l’ « ultra-fem » qui se fait humilier. Je voulais être confiante, sûre de moi. Ce sont ces petites choses qui montrent aux spectateurs qu’ils entrent dans un monde qui n’est pas strictement binaire. 

La représentation des personnes trans à l’écran est terrible. Elle est fétichisée, nous aliène, ne nous aide pas à avoir une vision d’un monde plus inclusif et collectif. Il y a des exceptions, mais on donne globalement une image de nous hyper-sexualisée. Bien sûr qu’on est en faveur de l’expression de notre sexyness, et que la sexualité peut être une part importante de nos identités. Mais pour moi, il faudrait nous montrer l’aspect humain des personnes trans avant tout. Vous connaissez le dilemme entre la maîtresse et l’épouse ? La personne trans sera toujours la maîtresse. Personnellement, je vois en moi la parfaite épouse.

Par « quelque chose d’authentique » vous référez-vous au fait de faire jouer des personnages trans par des personnes concernées ?

C’est absolument nécessaire, oui. Être trans, ce n’est pas avoir un look spécifique ou prendre des hormones. Ce n’est pas une image, c’est une expérience que tu portes en toi, et que tu délivres simplement en étant. Bien sûr, un acteur professionnel cisgenre peut me copier, mais ce n’est pas l’essence qu’on essaye de saisir. Nous, on veut se rapprocher des gens pour qui on est. Si on parle de visibilité, on est encore une fois représentées par les autres, et je pense que c’est néfaste. 

Vous avez pensé à réaliser votre propre film ? 

C’est mon rêve. J’aimerais parler d’une romance avec une productrice trans très connue, qui s’appelle Sophie Xeon. Elle est morte à Athènes l’année dernière. Ensemble, on avait ce projet d’une romance trans lesbienne qui répand l’amour. Cette histoire de ma vie m’a inspirée et m’a convaincue d’un jour, la porter à l’écran.

À VOIR

Dodo de Panos H. Koutras, avec Smaragda Karydi, Akis Sakellariou, Natasa Exintaveloni, Marisha Triantafyllidou Tzef Montana…

En salles le 10 août 2022.

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