The l Word

The L Word : Au bon souvenir de Jenny Schecter

Avant la diffusion, fin novembre, de la saison 3 de The L Word sur la chaîne Showtime, retour chargé d’émotions sur cette série culte de la communauté lesbienne. 

Entre lesbiennes on aime bien parler des personnages de The L Word. Souvent. Il y a ce petit jeu, cette question : et toi, c’était laquelle que tu voulais ? On rit, on débat. Entre lesbiennes d’un certain âge surtout. Celles pour qui The L Word étaient les pionnières. Les premières représentations plurielles qu’on nous proposait. Celles qui nous manquaient. On a accepté beaucoup pour ça. L’absurdité de certains scénarios, l’argent qui leur tombait du ciel et donc la négation de la précarité de la plupart des lesbiennes qu’elles vivent à L.A. ou à Lyon. On aime ça, parler de Shane, de Bette, d’Alice. On aimait déjà ça à l’époque. Attendre le retour de Carmen, pleurer Dana, mépriser Tina (surtout quand elle quitte Bette pour un mec cis) et plus que tout, on aimait détester Jenny.  On a aimé ça de 2004 à 2009 le temps de six saisons. Et puis Jenny est morte, la saison 6 s’est terminée là-dessus. Toutes les autres sortant du commissariat, blanchies d’un crime dont le débat court toujours de savoir si elles l’ont commis ou non. Souriantes, enfin débarrassées de l’épuisante Jenny. C’était habile comme fin. Le meurtre du personnage initial, la petite voisine qui s’invite à la fête, fout le bordel pendant six ans, noyée dans cette même piscine autour de laquelle elle draguait timidement la big boss du Planet. 

Et depuis quoi ? Depuis une nouvelle génération, arrivée en 2019 : The L Word, Génération Q. Alors on a essayé, la saison 1, contentes de retrouver quelques vieilles copines. Bette, Alice et Shane. Toujours là, toujours dans les mêmes empêchements. La tentative épuisante de réparation par le pouvoir pour Bette, la quête de stabilité affective et l’impossible famille pour Alice, la compulsion de répétition de l’échec pour Shane. Toujours là, en effet. Mais on s’ennuie. On passe la saison 2, on ne se demande même plus « tu as regardé ? ». Et on préfère reparler des anciennes comme on parlerait du bon vieux temps. Jusqu’à réaliser ceci. Jenny nous manque. Pas facile de se l’avouer mais c’est là, évident. L’assassinée nous manque. Elle nous manque la fouteuse de merde, l’épuisante égocentrique, elle nous manque celle qui au fond devenait folle parce qu’elle refusait de quitter un dogme (l’hétéronormativité) pour un autre et qui faisait des autres ce qu’elles étaient : des fictions de roman. Des personnages qui tournent en rond et qui finissent par perdre ce que pourtant nos vies alternatives à la norme nous offrent, parfois dans la douleur : le courage de la fluidité. Jenny qui couchait avec des hommes, des femmes, Jenny qui aimait Shane et Nikki simultanément. Jenny qui permettait à Moira de devenir Max. Jenny qui venait secouer tour à tour chacune des autres comme pour leur dire de ne pas s’endormir, les secouer tellement qu’elles ont peut-être fini par la tuer. En tuant cette insupportable voix qui nous met en garde contre l’ennui, pas étonnant que celui-ci arrive avec la nouvelle génération. Le fou d’hier est souvent le sage d’aujourd’hui. Alors par pitié, depuis 2022, rendez-nous Jenny.  

À voir La saison 3 de The L Word, Génération Q diffusée sur Showtime depuis le 22 novembre 2022.

©Nadia Khallouki

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